Les deux France au travail

La grande entreprise, celle où les relations sont conflictuelles, est bien différente de l’entreprise familiale, souvent de taille plus modeste. La distinction entre ces deux France du travail n’est pas fortuite, elle a une histoire. Le pivot de la Révolution française est, me semble-t-il,  la victoire des Montagnards menés par Robespierre sur les Girondins qui n’ont pas eu de figure aussi emblématique, et pour cause. La France en conserve la mémoire.

Pour faire court, l’entreprise publique  française (cotée ou d’Etat) dont le caractère bureaucratique et politique a été longuement décrit par Michel Crozier, est jacobine ; le pouvoir est centralisé, l’initiative suspecte, et le conflit la règle. 

Doit-on rappeler que les Girondins représentaient la frange entrepreneuriale et bourgeoise du Tiers-Etat ? et surtout que leur chute doit beaucoup à l’accusation de fédéralisme dont ils faisaient l’objet ?

Lorsque la Terreur de 93 a vaincu, elle a marqué le triomphe de la peur sur l’initiative privée, y compris dans le domaine de l’économie, et ce, pour longtemps.

Robespierre a durablement éclipsé les Condorcet, Vergnaud ainsi que leurs associés. Ce fut le triomphe d’une France qui tout en valorisant le volontarisme politique égalitaire et centralisateur, condamnait en bloc la sphère marchande du pays, voyant partout les agissements suspects de ceux qu’elle nommait les « accapareurs ».

A mon sens, on continue à tort d’identifier l’entreprise familiale moderne au capitalisme du 19^ème siècle que dénonce Marx. On oublie ce faisant le phénomène managérial apparu au 20^ème siècle et décrit par J.Burnham. Il a favorisé ce que J.K Galbraith a appelé la « technostructure ». Bureaucratique, elle prospère sans mémoire, contrairement à l’entreprise familiale. L’amnésie de l’entreprise publique française est par excellence le terrain propice au développement d’un jacobinisme terrorisant bien enraciné dans notre culture.

C’est là l’une des raisons pour lesquelles l’action collective est moins conflictuelle au sein des entreprises familiales. Le passé et sa mémoire peuvent y jouer pleinement leur rôle : la conscience collective de la raison d’être de l’entreprise est à la fois plus claire et rassurante. 

Cet argument devra pourtant être confronté aux circonstances de notre époque. L’exemple de la Fnac, où la dimension familiale n’a pu se développer, nous rappelle ce qui se passe actuellement dans les start-up à la croissance si rapide qu’elles sont revendues à une phase précoce de leur développement. Un phénomène nouveau, auquel les modes de financement modernes ne sont pas étrangers, et sur lequel j’aurai l’occasion de revenir.