Depuis plus de vingt ans, la littérature sur le management affectione la métaphore. Simplifiant la pensée par l'image, cette figure de style a des vertus pédagogiques. Mais son efficacité dans le registre de l'imaginaire n'est pas forcément transposable dans celui de la réalité concrète. Un exemple ?
Dans la veine des mesures prises au Technocentre de Renault pour conjurer les risques psychosociaux jugés très élevés par une étude récente*, la journée de l'équipe a eu lieu les 8 et 9 novembre. Pendant deux jours, les salariés ont été conviés au grand jeu de la métaphore avec le rugby comme sujet d'inspiration.
Il est naturellement trop tôt pour se prononcer sur les effets de la démarche. Selon Nathalie Brafman**, les avis sont partagés. "On n'est pas des clowns, on n'a pas fait l'école du cirque" se plaint un délégué syndical, tout en reconnaissant cependant que "les gens se sont un peu lâchés". Car sur les 3000 réponses à un questionnaire d'évaluation, le taux de satisfaction, de l'ordre de 80%, est encourageant.
C'est l'occasion de rappeler les expériences menées par Elton Mayo, chef de file de l'école des Relations Humaines, dans une usine de la Western Electric au début des années 1930.
Ses recherches ont montré que l'amélioration des conditions de travail avait un impact positif sur la motivation collective et la productivité. Mais curieusement, l''expérience a rapidement prouvé que le changement était induit par la considération portée aux salariés beaucoup plus que par les mesures appliquées. Bref, la symbolique institutionnelle prime sur l'organisation matérielle du travail pour induire le changement.
Or, le contexte institutionnel dans lequel se joue un match de rugby n'a rien à voir avec celui d'une entreprise. Pour faire émerger les valeurs du rugby, décidément à la mode en ce moment, il faut jouer au rugby, et non pas faire semblant. Une valeur, quelle qu'elle soit, est toujours liée à une institution, pour la simple raison qu'elle est l'institution.
Les commentateurs réagissant à l'article** ne s'y trompent pas. "Une meilleure réaction ne serait-elle pas "Trois des nôtres ont mis fin à leurs jours dont deux chez nous : quelque chose ne va pas-du tout- parlons-en ensemble..." Et créer des groupes de travail sur six mois." écrit Renaud D. Quelques mots qui expriment un malaise généré par ce déni diffus de la réalité.
L'une des trois grandes sources de résistance au changement est le contre-investissement. Il suffit de parler d'autre chose et d'en valoriser le sens pour éviter de regarder les faits ; le rugby contre la douloureuse réalité.
Selon le directeur du Technocentre, les 5 millions d'Euros dépensés pour l'opération ne sont "pas un coût, mais plutôt un investissement." Il y aura des suites, nous dit-on, et BG**, un internaute, relève avec humour un lapsus de l'article : rendez-vous est déjà "prix".
C'est que trop souvent, dans les entreprises qui souhaitent le changement, l'investissement en valeurs sonnantes cache un contre-investissement en valeurs signifiantes.
* Le Monde, 21 octobre 2007, Un rapport juge très élevés les risques psychosociaux au Technocentre de Renault
**Le Monde, 10 novembre, 2007, Les salariés de Renault tentent le dialogue entre mêlée et placage
Je viens de terminer la lecture de vos livres "Renault ou l'Inconscient d'une Entreprise" et de "Psychanalyse de l'Entreprise" (chez l'Harmattan).
Selon vos billets successifs à ce sujet, les suicides du Technocentre s'inscrivent dans la continuité de l'inconscient de Renault, notamment d'un signifiant récurrent : l'absence de parole.
Comment expliquer alors les six suicides chez Peugeot de Février à Juillet 2007 ? la construction historique de cette entreprise ne semble pourtant pas proche de celle de Renault.
Ne faut-il pas penser à une influence sociétale indépendante de l'inconscient de ces entreprises ?
Je profite de cette question afin de vous remercier de votre effort pour interpréter et répondre aux questions que j'ai mal formulées sous votre billet concernant Danone. Cela me permet d'avancer un peu dans la compréhension de votre pensée.
J'ai lu depuis votre billet sur les "Causeries à bâtons rompus" de Pierre Bilger et pris conscience que, contrairement à ce que je pensais, l'inconscient du dirigeant d'entreprise n'est pas nécessairement en adéquation avec l'environnement dans lequel il évolue (je me demande tout de même comment il peut alors arriver à ce poste). Dans ce cas il peut devenir un allié primordial dans la démarche de psychanalyse d'entreprise.
Rédigé par : Pfeireh | 20 novembre 2007 à 12:40
Je suis très sensible à l'intérêt que vous portez à ce travail.
En effet, Peugeot n'est pas Renault, mais je ne connais pas suffisamment cette entreprise pour avoir un avis.
Le sociétal ne peut pas être négligé, je suis d'accord, mais, vous le dites bien, il s'agit plus d'une "influence", terme que j'entends comme une condition de possibilité, que d'une cause "efficiente".
"L'adéquation" dont vous parlez est un vaste sujet. L'inconscient est avant tout un lieu de discours. J'ai souvent constaté dans la pratique que le dirigeant et l'entreprise peuvent très bien s'entendre sans pour autant être semblables. Mais peut-être est-ce cela "l'adéquation", que de pouvoir s'entendre.
Peut-être avez-vous observé comme je l'ai fait très souvent, que l'arrivée à la fonction de dirigeant reste dans un grand nombre de cas livrée au hasard de circonstances (politique, tractations, urgence ...). Il n'en demeure pas moins que s'il y a mésentente avec le dirigeant, l'inconscient de l'entreprise a toujours le dernier mot.
En général, le dirigeant est l'allié primordial dans la démarche du changement, ne serait-ce que parce que sa fonction (et non pas lui en tant que personne) est souvent un facteur de résistance.
Rédigé par : DT | 21 novembre 2007 à 01:24