Mercredi, le premier film de la trilogie Millenium sort en France.
Il est sans surprise, conforme au livre dont le titre exact est "Les hommes qui haïssent les femmes", malgré quelques coupures et rapides allusions à des événements qui ne se produiront que dans le deuxième tome. Son intérêt est de rendre l'atmosphère du cadre de l'action, à savoir la Suède.
C'est surtout à l'oreille que l'on reconnaît une ambiance suédoise : sobriété de l'environnement sonore dans ce pays où l'on agit beaucoup et discute peu, ce qui n'exclut pas qu'on y parle abondamment. L'hermétisme d'une langue peu connue en dehors des frontières parachève le mystère.
Jean-Jacques Larrochelle * voit dans Millenium ce qu'il appelle la face cachée du modèle scandinave (efficacité économique et bien-être social) , les maux d'une société d'apparence prospère aux prises avec la voracité financière et les démons de son passé. Le crime, donc, l'argent, et les remugles du nazisme ainsi que les régurgitations de barbares de l'ex-Union soviétique.
Des mots forts mais aussi stéréotypés que trompeurs. Rien de ce qui est humain n'échappe à sa face cachée. Comme bien d'autres pays, la Suède a une longue histoire remplie de faits et gestes dont la signification est d'autant plus riche qu'elle est inconsciente. Mais il y a une chose très spécifique qui distingue la Suède et qui, assurément, contribue à créer le mystère : c'est le rapport particulier qu'entretient tout un peuple à son passé.
Hormis la tutelle danoise qui prend fin au début du 16ème siècle, le pays n'a jamais été envahi. Un système de gouvernance démocratique plus que millénaire au niveau de la communauté villageoise, pas de conflit armé depuis 200 ans ni d'épisodes révolutionnaires traumatisant la mémoire collective pas plus que de guerres civiles ou de religion.
Il est vrai qu'il a pu y avoir parfois des sympathies pour l'Allemagne à tous les niveaux de la société durant la dernière guerre ; mais les compromissions réelles ont été d'ordre commercial. Il y a eu de vrais conflits d'idées à ce sujet mais ils n'ont pas laissé de traces dans les mémoires. Donc pas de démons du passé au sens où on l'entend habituellement.
Peut-être aussi, c'est là une autre particularité du pays, que les ancêtres des suédois, les Vikings, ont pleinement vécu à une certaine époque, leur face démoniaque. Ils ont fait régner la terreur sur une partie de l'Europe pendant près de deux siècles, restant en marge d'une chrétienté qui n'a pris pied dans le pays qu'à partir de la seconde moitié du 11ème siècle. Le pays est passé au protestantisme sans résistance au début du 16ème siècle.
J'ai abordé la préférence du fait par rapport à l'idée chez les suédois. Millenium en est un témoignage. Le projet de Stieg Larssson est certes une dénonciation (le crime, l'argent, la condition féminine ...) mais son ampleur et sa radicalité sont le signe d'un réel courage devant les faits.
A ce titre, la trilogie Millenium est avant tout une fiction policière, mais elle est instructive. On y trouve quelques-unes des clés du capital signifiant de la Suède, en partie dans la trame des événements et beaucoup dans le comportement des protagonistes.
* Le Monde du 10-11 mai, supplément TV
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