A l’occasion du récent voyage de S. Royal, le « modèle suédois » est remis à l’honneur toujours avec la même question : est-il transposable chez nous et comment donc s’en inspirer ?
Avant d’y répondre, il faut s’assurer de bien comprendre la nature d’un modèle finalement assez mal connu. A signaler donc, un excellent document rédigé par Stéphane Boujnah, L'inoxydable modèle suédois, à la fois synthétique et complet. L’auteur est optimiste ; il pense qu’il est possible de s’inspirer de la Suède et dénonce une « maladie intellectuelle française », consistant à en nier la possibilité. Il faut lui donner raison, la démarche étant salutaire par nature.
Mais comme toujours, copier des structures et des institutions ne garantit pas la reproduction d’un modèle : éternelle distinction entre la lettre et l’esprit. La lettre est ce que l’on voit, l’esprit ce que l’on ne voit plus mais qui donne un sens et une réalité à l’ensemble.
Au risque de trop simplifier les choses, je voudrais remonter à la surface une des composantes de cet esprit qui fait du modèle suédois ce qu’il est.
Je partirai d’un constat fait par S. Royal lors de son voyage : le patronat et les syndicats, dit-elle, mènent un dialogue constant et constructif, exempt de peur.
Pour avoir travaillé en Suède et dans les pays nordiques, je me suis souvent demandé quel était la raison de cette aptitude au dialogue. L’observation et la pratique m’ont conduit à la conclusion suivante : c’est la préférence pour le fait par rapport à l’idée. En Suède, un dialogue porte toujours sur des faits, en France, il porte sur des opinions.
Le phénomène est perceptible aussi bien dans une conversation privée que dans une négociation collective et professionnelle.
Deux stratégies de formation du lien social se construisent à partir de cette opposition. Dans un cas, il faut sans cesse renouveler les faits et dans l’autre, produire des idées.
On méconnait totalement l’esprit suédois en négligeant l’obsession du changement qui règne dans ce pays. Il est frappant de voir la liberté avec laquelle on y tente des expériences collectives : c’est une façon de provoquer les faits et finalement de les faire parler.
A l’inverse, produire des idées exige d’une certaine façon le silence des faits, ce qui en France, explique en partie la résistance au changement.
Ce sont là deux logiques qui s’excluent le plus souvent dans la mesure aussi où changer la réalité est un effort collectif tandis que produire des idées est un plaisir individuel. En Suède, un groupe est toujours fondé sur la collaboration, en France sur la différenciation. Dans un cas, on donne sa contribution, dans l’autre, on prend la parole.
La conséquence de cette opposition rend compte de cette absence de peur mentionnée par S. Royal : dialoguer sur des faits est un travail. Dialoguer avec des opinions est un combat.
La valorisation du fait par rapport à l’idée : voilà un exemple de signifiant dont l’effet est de structurer ce que plus haut j’appelais « l’esprit » des institutions et qui correspond en réalité à l’une des composantes du « capital signifiant » de la Suède.
J'ai lu le rapport que vous mentionnez qui est en effet à recommander.
Il insiste d'ailleurs sur la continuité du pouvoir socialiste en Suède pratiquement depuis 70 ans.
Vous parlez d'une obsession du changement chez les suédois. N'y a t il pas contradiction ?
Rédigé par : Karl | 03 août 2006 à 15:50
Je ne crois pas. Précisément, cette préoccupation constante du changement est une réalité à tous les niveaux de la société : gouvernement, collectivités locales, entreprises. Le pays fait preuve d’une réelle aptitude au changement qui lui permet de coller aux évolutions d’ordre politique, économique ou social. Cette souplesse désamorce toute possibilité de tension entre le pays et son gouvernement, d’où la stabilité politique.
Rédigé par : DT | 04 août 2006 à 15:43
Ca veut dire que les modèles ne sont pas transposables ? Pourtant quand on voit l'entrée massive des standards américains en France, on peut en douter.
Rédigé par : jazz | 05 août 2006 à 18:01
En lisant le livre de Dominique Méda et Alain Lefebvre, "Faut-il tuer le modèle social français?", qui s'appuie également sur une bonne analyse des expériences nordiques et que j'avais commenté sur mon blog (http://www.blogbilger.com/blogbilger/2006/03/_fautil_brler_l.html), il m'avait semblé que l'unicité et la représentativité des organisations syndicales constituaient une explication supplémentaire de leur capacité à conduire avec succès un dialogue social efficace.
Ce constat est probablement à l'origine des idées qui commencent à être évoquées, notamment, mais pas seulement, par Ségolène Royal, sur la manière de corriger la situation de faiblesse et d'éclatement du syndicalisme en France dont le transfert de l'expression des revendications vers la rue est l'un des symptômes.
Pourtant ce débat, à peine né, semble tourner court. Notre pays est-il pour toujours voué à vivre avec ce handicap structurel?
Rédigé par : PBi | 06 août 2006 à 09:19
L’alternative rue / dialogue est profondément ancrée dans la mentalité française. Victor Hugo l’a bien résumée dans son roman Quatre-vingt treize :
« Le peuple avait sur la Convention une fenêtre ouverte, les tribunes publiques, et, quand la fenêtre ne suffisait pas, il ouvrait la porte, et la rue entrait dans l’assemblée »
Au temps des vikings, il y a donc plus de mille ans en Suède, le village avait son conseil qui permettait à tous de s’exprimer.
Comme quoi les mentalités ont la vie dure bien qu’elles soient susceptibles d’évoluer. Mais il faut pour cela du débat public, et comme vous le dites, celui-ci semble tourner court.
Rédigé par : DT | 06 août 2006 à 15:42