Les références à l’Ancien Régime et à la Révolution se sont multipliées en France ces dernières années. C’est un symptôme : à mesure qu’augmente la nécessité du changement, les obstacles et les rigidités qui s’y opposent deviennent apparents. Et très vite, 1789 et 1793 se profilent en toile de fond.
La référence à cette période témoigne d’un malaise. On la perçoit légitime, mais les raisons ne sont pas toujours claires. Je voudrais profiter d'un billet de Bernard Salanié pour revenir sur le sujet. A propos de ce qu’il appelle « la valse des dirigeants d’entreprise », critiquant l’accès de hauts fonctionnaires à des responsabilités en entreprise, il dit « la France n’a toujours pas digéré son héritage de l’Ancien Régime ».
Il a raison ; mais je crains que l’Ancien Régime ne soit plus qu’un héritage, c’est une réalité bien vivante. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a rien de plus tenace que le retour du refoulé. Il ne faut pas croire que la Révolution et l’Ancien Régime sont deux tendances contraires, en lutte. La Révolution n’a été pour notre pays que l’aboutissement d’un processus initié et voulu par l’Ancien Régime, à savoir une centralisation du pouvoir et l’affaiblissement des corps intermédiaires. La Révolution a inconsciemment accompli le désir de l’Ancien Régime en faisant croire qu’elle le détruisait pour toujours.
Cette interprétation de la Révolution française présente deux particularités. La première est son accord parfait avec la définition du symptôme. Accomplissement d’un désir, il se réalise sous un visage masqué. La « volonté générale » de Rousseau a purement et simplement pris la place du monarque de l’Ancien Régime. D’où notre Etat, mais aussi notre administration. A la tyrannie d’un homme on a substitué celle d’une idée.
La deuxième particularité de cette interprétation tient à son ancienneté. Elle est faite par Tocqueville dès 1856 à travers l’étude de l’évolution des institutions. Dix ans plus tard, elle est confirmée par Edgar Quinet qui extrait des événements leur signification profonde. Il y voit en particulier une compulsion à la répétition du passé de notre histoire.
Depuis plus de 150 ans, la France dispose d’une « analyse » avant la lettre de sa Révolution ; mais à l’évidence, elle préfère continuer d’« agir » l’Ancien Régime plutôt que d’en prendre conscience. Cette prise de conscience affleure en période de tension, lorsque le changement s’impose, comme maintenant, mais elle s’estompe dès que les choses vont mieux.
Commentaires