Didier Toussaint

Un article sur l'inconscient de l'entreprise

Dans un article publié le 7 septembre, le magazine Newzy s'intéresse à l'entreprise, à son inconscient et à son capital signifiant. Mis en ligne, le texte est également imprimé dans la version papier qui est distribuée uniquement sur abonnement. En vrac, quelques heureuses formules  de son auteur, André Mora :

A propos de l'entreprise : "son inconscient, le lien "qui fait sens""

Sur l'inconscient et sa propension à la répétition : "On a beau ripoliner l'organigramme, il reste comme une musique de fond qui, elle, ne varie pas tant qu'on n'ouvre pas le moteur à émotions, c'est à dire la parole."

Sur le rôle du marché dans le développement de l'entreprise, il évoque "la sélection naturelle opérée par la loi du marché dans le capital symbolique de l'entreprise." Ce capital signifiant  est celui qu'apporte le fondateur parallèlement au capital social, et qui fournit la substance du business model.

Je ne peux qu'approuver l'insistance de l'auteur sur "l'irrationnel" de l'entreprise tout en précisant avec Pascal, que "le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas". Autrement dit, l'irrationnel n'est qu'une apparence, le symptôme des limites d'une pensée managériale qui a trop tendance à prendre le chiffre pour la réalité. Car si l'inconscient de l'entreprise est le "lien qui fait sens", c'est bien parce qu'il répond à une logique qui lui est propre.

Mary Douglas, l'institution et le management

La disparition de Mary Douglas en mai dernier est passée inaperçue. Anthropologue anglaise inconnue du grand public, sa réflexion sur les institutions aura marqué son époque.

Voici ce qu'elle disait dans un livre publié en 1986, "Comment pensent les institutions ? " :

"Les institutions accomplissent les mêmes tâches que les théories".

Pour elle, l'institution est donc faite des mêmes représentations qui sont produites et manipulées par les individus. Son originalité est d'avoir perçu l'importance des effets produits par les institutions. En effet :

"L'individu tend à laisser les décisions importantes à ses institutions et à s'occuper uniquement de la tactique et des détails."

Autrement dit, l'institution  instrumentalise en grande partie le comportement individuel. On ne peut s'empêcher de rapprocher cette idée de ce que disait G.Bachelard :

"Les instruments sont des théories matérialisées."

Car l'instrument et l'institution ont ceci en commun qu'en matérialisant des représentations, ils leurs donnent la possibilité d'agir, respectivement dans le monde des choses physiques et dans celui de l'organisation sociale.

Max Weber avait l'intuition de cette similitude, écrivant en 1913 :

"Aucun consommateur moyen n'a aujourd'hui une connaissance même approximative  de la technique de production des biens qu'il utilise quotidiennement. Il n'en va pas autrement des institutions sociales."

Cette réalité est encore trop souvent sous-estimée dans la pratique du management des entreprises. En croyant agir, la tentation est forte d'ignorer à quel point l'institution instrumentalise les décisions et leurs résultats ; l'institution est, à ce titre, au coeur de l'inconscient de l'entreprise.