La disparition de Mary Douglas en mai dernier est passée inaperçue. Anthropologue anglaise inconnue du grand public, sa réflexion sur les institutions aura marqué son époque.
Voici ce qu'elle disait dans un livre publié en 1986, "Comment pensent les institutions ? " :
"Les institutions accomplissent les mêmes tâches que les théories".
Pour elle, l'institution est donc faite des mêmes représentations qui sont produites et manipulées par les individus. Son originalité est d'avoir perçu l'importance des effets produits par les institutions. En effet :
"L'individu tend à laisser les décisions importantes à ses institutions et à s'occuper uniquement de la tactique et des détails."
Autrement dit, l'institution instrumentalise en grande partie le comportement individuel. On ne peut s'empêcher de rapprocher cette idée de ce que disait G.Bachelard :
"Les instruments sont des théories matérialisées."
Car l'instrument et l'institution ont ceci en commun qu'en matérialisant des représentations, ils leurs donnent la possibilité d'agir, respectivement dans le monde des choses physiques et dans celui de l'organisation sociale.
Max Weber avait l'intuition de cette similitude, écrivant en 1913 :
"Aucun consommateur moyen n'a aujourd'hui une connaissance même approximative de la technique de production des biens qu'il utilise quotidiennement. Il n'en va pas autrement des institutions sociales."
Cette réalité est encore trop souvent sous-estimée dans la pratique du management des entreprises. En croyant agir, la tentation est forte d'ignorer à quel point l'institution instrumentalise les décisions et leurs résultats ; l'institution est, à ce titre, au coeur de l'inconscient de l'entreprise.
Merci pour vos utiles éclaircissements concernant l'interprétation de la pensée de Wittgenstein.
Par manque de culture sans doute ( je lis pour la première fois le nom de Mary Douglas), je ne parviens pas à suivre votre billet.
Les citation que vous interprétez de cet auteur laissent penser qu'elle accorde à l'individu le primat sur l'institution.
D'une part l'institution se doit de remplir une tâche qui lui a été imposée; d'autre part c'est l'individu qui semble la lui imposer en lui laissant le soin de prendre pour lui les grandes décision.
Aussi je ne rapprocherais ces citations de Bachelard que pour les lui opposer : ça n'est pas l'institution qui manipule l'individu, c'est l'individu qui crée l'institution afin qu'elle lui dicte le sens de l'acte qu'il exécute.
Pour cette raison, je serais tenter de lire non pas :
"Car l'instrument et l'institution ont ceci en commun qu'en matérialisant des représentations..."
mais plutôt :
"Car la théorie et l'institution ont ceci en commun qu'en matérialisant des représentations..."
Ce faisant je reclasse de fait au rang d'instrument théorie et institution. Elle sont grammaire, et pourrait-on dire, rien de plus. Leur création est nécessité de l'individu. Voici en tout cas une autre utilisation possible de la lecture de Wittgenstein.
Enfin je ne résiste pas, dans le cadre de ce billet et en échos à votre formule ("monde des choses physiques et celui de l'organisation sociale"), à faire part à tous vos lecteurs d'une citation de Noah Webster, éditeur du premier dictionnaire américain :
"As an independant nation, our honor requires us to have a system of our own, in language as well as in government".
En effet on ne soulignera jamais assez, surtout dans le monde de l'entreprise, combien les thèmes abordés sur ce blog sont concrets et à quel point ils recèlent un potentiel de croissance pour nos entreprises et notre société tout entière.
Rédigé par : Pfeireh | 10 février 2008 à 18:21
Même si l'institution est la création d'un individu (ce qui est le cas de bien des entreprises, comme Renault par exemple) elle se fait à son insu ; il n'en maîtrise pas le résultat. Par ailleurs, ceux qui la rejoignent se soumettent à son fonctionnement. Il me semble donc que l'instrumentalisation se déploie de l'institution vers les personnes et non l'inverse. Dans le cas de l'entreprise, c'est précisément parce qu'elle leur propose de prendre en charge une partie importante de leurs décisions, que les individus se soumettent à leur fonctionnement.
Je crois que la phrase de M.Weber montre bien que les choses se font à l'insu de l'individu conscient, notamment dans le cas de l'action collective.
Et merci de souligner le côté éminemment pratique de tous ces propos, comme le montre la pratique quotidienne dans l'entreprise.
Rédigé par : DT | 10 février 2008 à 20:59