Voilà 70 ans que Freud est mort. C'était le 23 septembre 1939.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que la commémoration est discrète ; pas un mot dans la presse. Il y a de quoi s'en étonner mais on peut y voir le signe d'une époque qui, aveuglée par son obsession pour l'innovation, en oublie de la reconnaître lorsqu'elle est là ... et d'en tirer profit.
C'est donc l'occasion de rappeler ces quelques considérations de Freud à propos du lien entre le cerveau et le psychisme, d'une saisissante modernité, écrites il y a 120 ans *.
Se demandant si une représentation fait l'objet d'une trace neuronale :
"Quel est le corrélat physiologique de la représentation simple ? Visiblement pas quelque chose qui est au repos, mais plutôt quelque chose de la nature d'un processus."
et plus loin :
"la localisation d'une représentation ne signifie rien d'autre que la localisation de son corrélat (physiologique)"
Le débat est un peu technique, il faut en convenir. Mais il est important à une époque où une interprétation erronée des neurosciences pourrait conduire à affirmer que le cerveau pense. Rappelons à ce propos cette belle formule du philosophe américain Daniel Dennet.
"I understand English, my brain does'nt"
Elle est rapportée par Vincent Descombes. La modernité de Freud, loin d'être épuisée, est travaillée par ce philosophe, dont j'ai déja parlé à plusieurs reprises. Il écrit :
"l'état d'esprit de quelqu'un ne peut pas être un état cérébral"
car si le cerveau fonctionne, il n'a pas la capacité de fabriquer le sens. Vincent Descombes est on ne peut plus clair à ce propos :
"les institutions sont pourvoyeuses d'un sens que les sujets individuels peuvent s'approprier"
et par conséquent :
"l'esprit objectif des institutions précède et rend possible l'esprit subjectif des personnes particulières".
Or, toute la thèse de l'inconscient freudien est déjà dans cette idée, à savoir que, comme le dit bien Vincent Descombes :
"le sujet en dit plus long que son savoir"
autrement dit, il y a de l'inconscient dans ce que l'on dit. Ce surcroît de sens n'est pas une production de l'intérieur, mais de l'extérieur, à savoir des institutions, d'où la formule de J.Lacan
"l'inconscient, c'est le social"
Le hasard a voulu que je me trouve à proximité de la ville natale de Freud, Freiberg (aujourd'hui Pribor), au moment précis de ce 70ème anniversaire. Cette région, notamment le voisinage de Cracovie en Pologne, est pleine d'avenir. L'innovation freudienne, dont on n'a pas encore tiré toutes les conséquences, l'est pareillement.
Plein d'humour, Freud nous a gratifié d'un Gai Savoir, pour paraphraser Nietzsche. Il faut méditer par exemple l' extrait suivant de son livre "Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient" dont on ne se lasse pas.
Il s'agit de deux hommes qui se rencontrent dans un train :
"Où vas-tu ?" dit l'un. "A Cracovie", dit l'autre. "Vois quel menteur tu fais !" s'exclame l'autre. "Tu dis que tu vas à Cracovie pour que je croie que tu vas à Lemberg. Mais je sais bien que tu vas à Cracovie. Pourquoi alors mentir ?"
* Contribution à la conception des aphasies (1891)
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