"La question est la suivante : quelle est l’importance des faits dans l’histoire d’une entreprise ? Ont-ils un sens indépendant de celui qui leur est donné par les acteurs ? Selon notre point de vue, la notion même de fait doit être suspectée a priori.
Ce sont les hommes et leurs penchants qui fondent les institutions et en particulier les entreprises, non les événements d’une histoire dont l’objectivité relève du domaine de l’impossible. Les détails factuels retenus sont le plus souvent une sélection prenant le sens que veut y mettre celui qui en fait la narration ; car l’histoire, avant d’être un enchaînement de faits, est toujours l’objet d’un récit dont le sujet s’efforce de rester dans l’ombre. Malheureusement, la discrétion que s’impose le narrateur n’est pas un gage de neutralité, et le désir fait son retour dans les partis pris de la narration.
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Dans le désordre de l’urgence, le sens et la signification des choix se construisent au gré des circonstances mais selon la nécessité qu’imposent les passions durables et les aptitudes de chaque acteur. Elles ont une constance qui, avec le temps, finit par donner un sens à la série des événements brouillons que traverse toute entreprise à ses débuts.
Il n’y a pas d’événement fondateur, il n’y a que des volontés pressées de dire le sens de l’histoire et d’en signer le contenu. L’accumulation des faits dans la mémoire inconsciente de l’entreprise selon les hasards de l’histoire est une vue de l’esprit : c’est la signification attribuée par les fondateurs qui les sélectionne et les convertit en événements signifiants.
Les deux registres ne sauraient être confondus. Les événements ont une place assignée dans le temps alors que le désir, en grande partie inconscient, agit dans une sorte d’éternité qui le rend disponible à tout moment. Le réel est une production spontanée et continue de circonstances ; les acteurs agissent et réagissent, mais toujours dans la logique de leur tempérament. D’un côté, le réel changeant et aléatoire ; de l’autre, une réserve de sens qui ne change pas, un capital de signifiants. L’un est en demande toujours renouvelée de sens, l’autre en position durable d’offre. C’est cette rencontre qui produit le fait, celui qui devient un signifiant dans l’histoire de l’institution. Cette profonde vérité trouve un écho dans la langue de tous les jours ; si l’on peut dire que les faits parlent d’eux-mêmes, c’est bien parce qu’ils sont avant tout des signifiants."
("L'inconscient de la fnac : l'adiction à la culture", Bourin Editeur)
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