Je viens de découvrir un article des Echos du mois d’octobre 2005 (supplément L’Art du Management) de Laurence Lehmann-Ortega et Bertrand Moingeon. Mieux vaut tard que jamais, dit-on ; il me semble important dans la mesure où il développe un point essentiel dans l’évolution de la pratique du management.
En voici le résumé : si l’explosion de la bulle Internet a provoqué la disparition de biens des start-up, elle nous a laissé un concept utile : le Business Model. Il se définit en trois points : la valeur de l’offre aux clients, son architecture (comment elle est produite) et l’équation qui génère le profit.
Les auteurs développent l’intérêt du concept. Le premier se situe dans l’intégration des trois éléments, d’où l’insistance des auteurs sur la nécessité de la cohérence d’un Business Model.
Deuxième intérêt : la notion de Business Model permet au dirigeant de penser la stratégie non plus seulement en termes de matrice produit / marché mais en termes de compétences clés de l’entreprise. D’où la possibilité de le décliner et par conséquent de favoriser l’innovation stratégique, un peu comme si la compétence était le « métalangage » du produit.
Dernier intérêt : il « opérationnalise la stratégie », dans la mesure où il permet de développer une stratégie en conservant le lien étroit entre réflexion stratégique et organisation.
Cet article est salutaire pour l’avenir ; il encourage à penser l’entreprise dans sa globalité et donc indirectement à décloisonner les pratiques qui lui sont associées dans la gestion. Beaucoup d’entreprises, et c’est particulièrement vrai en France, continuent de cliver leur activité en fonctions, ce qui a pour résultat d’occulter et malheureusement d’inhiber la dynamique du concept qu’elles exploitent.
Les auteurs ne le disent pas explicitement, mais ils font un pas qui me semble déterminant en direction d’une conception du Business Model comme entité vivante. Son caractère intégré rapproche le produit, la façon de le faire et le profit qu’il rend possible.
Sans forcément dire comment, les auteurs contribuent, en parlant de valeur, à déterminer un champ commun aux trois registres du Business Model. En réinjectant dans le produit une valeur sociale à côté de sa valeur d’usage, ils contribuent à lui donner un sens qui dépasse la pure transaction marchande. Désenclavé du marché restreint de l’offre et de la demande à caractère économique, le produit peut désormais évoluer sur le marché des transactions en valeurs signifiantes, sorte de « métalangage » de la transaction en valeurs monétaires.
Ainsi, le Business Model est un pas de plus vers la logique d’un marché en valeurs dont les transactions marchandes et non-marchandes sont deux manifestations distinctes, mais uniquement en apparence. L’unité ayant cours sur ce marché est le signifiant, d’où la notion de Capital Signifiant dont je me sers abondamment dans ma pratique du conseil pour plonger au cœur du Business Model de l’entreprise.
Le caractère inconscient de ce marché, dont l’accès passe par la possession d’un Capital Signifiant, est la raison pour laquelle il est à la fois difficilement prévisible et contrôlable. Ceci me conduit à soulever la question suivante : qu’est-ce que la cohérence d’un Business Model ? N’est-elle pas qu’une construction a posteriori ? Ce qui m’a frappé en travaillant sur la Fnac, c’est comment le Business Model s’est mis en place. C’est la réalité qui, à plusieurs reprises, a opéré une sélection parmi les signifiants du capital de l’entreprise. Les seules cohérences que l’on pourrait invoquer sont celle de ces choix et celle du capital signifiant de l’entreprise qui nous renvoie à l’histoire de ses fondateurs. Mais il me semble que dans tout Business Model, il subsiste des éléments potentiellement contradictoires, comme je l’ai indiqué dans la conclusion de mon livre sur la Fnac.
L’article de Laurence Lehmann-Ortega m’a semblé intéressant car j’y vois une convergence entre la recherche académique et la pratique.
Je me demande si le business model n'est pas une mode de plus. Ca fait partie du jargon employé par les investisseurs et les analystes, et repris ensuite par la presse.
Je pose la question : y a t il encore de la place pour un "modèle" à une époque où les exigences de rentabilité sont si fortes ?
On a un peu le sentiment que la contraction des coûts d'exploitation est devenue un business model en soi.
Rédigé par : Eric | 28 juin 2006 à 12:38
Vous avez raison d'insister sur l'exigence de rentabilité émanant de l'actionnaire. Mais la "financiarisation" de l'économie ne doit pas aveugler.
Quel que soit le traitement qu'on lui fait subir, l'entreprise continue de fonctionner en exploitant son business model.
Par ailleurs, l'importance croissante de l'innovation va, me semble-t-il, remettre le concept sur le devant de la scène.
Rédigé par : DT | 28 juin 2006 à 17:09