Tout le monde sans fou
Le 7 mars 2007, l'épouse d'un salarié du groupe Renault s'exprime sur le net. Dans un commentaire sur les récents suicides, et après avoir témoigné sur le stress de son mari, nana conclut : "tout le monde sans fou". Le lapsus, pur produit de l'inconscient, en dit souvent plus que tous les discours : en général il dit le vrai.
En 1971, James March, théoricien des organisations et de l'entreprise, publiait un article devenu célèbre, intitulé "The technology of foolishness". Il y faisait l'éloge de la folie au service du management. Ce que pointait March il y a plus de 35 ans, c'est qu'une certaine déraison est indispensable dans l'action. Elle est productrice d'idées et d'innovations.
Il n'y a de folie que collective. Autrefois, le fou du roi apparaissait comme tel parce qu'il disait tout haut ce que chacun pensait pour soi. Inspiré par la vérité du groupe, on le disait fou car la folie n'est pas tant un non-sens que l'absence de censure. C'était un porte-parole institué.
Aujourd'hui, l'entreprise est une institution. Si elle est productrice d'idées, elle est aussi protectrice envers les personnes. Sa raison d'être est de permettre l'action collective en prenant à sa charge la part de folie que chacun porte en soi. Le collectif, en effet, fonctionne selon la logique du rêve. Ce que J.March préconise, c'est d'instrumentaliser cette dynamique, une démarche dont le savoir-faire est une véritable technologie.
Chez Renault, tout le monde sans fou car la folie collective n'y fonctionne pas. Les syndicats l'ont répété à plusieurs reprises : le management "consiste à évaluer les individus et non leur travail". Misraim, un internaute réagissant à un article de Liberation sur ces événements parle de sur-responsabilisation du sujet, interdisant de mettre en cause le collectif et son organisation, si bien qu' in fine, l'échec est toujours imputable à l'individu, et non à la structure organisationnelle.
Une dynamique collective fait défaut chez Renault car elle est refoulée et réduite à des réseaux de personnes non formalisés. Face à ce vide, l'individu est directement exposé à la sanction sans possibilité de recourir à la référence collective. Ce n'est pas la charge de travail qui l'accable mais la charge de culpabilité. D'où le climat anxiogène au travail, évoqué par les syndicats.
On a beaucoup accusé la lourdeur d'une exigence, les 26 modèles à concevoir et le stress qu'ils imposent. Le problème serait un trop plein et une surcharge. En réalité, il vient d'un vide et d'un manque. Tenus de travailler sans fou pour les déculpabiliser, les désespérés n'ont pu trouver l'auteur institué capable de porter leur parole.
Chez Renault, le sans fou est un défaut d'institution. L'histoire de l'entreprise est celle de ce refoulement.
Prochaine et dernière note : Que faire ?
Chez Renault on est tous fous, mais surtout les petits chefs: leur énorme égo ne leur laisse pas de place pour être humains, ils cherchent par tous les moyens de se faire réperer par les grands patrons, peu importe ce qu'ils sacrifient sur le chemin...: des personnes, des (autres) vies, etc... La follie s'impose. Si tu craque, c'est ta faute, pas celle de ton chef qui t'harcèle. Bien sûr.
Rédigé par : la follie | 13 avril 2007 à 20:08
Vous exprimez clairement la culpabilisation des personnes dans l'échec. C'est elle qui est facteur de stress et non la charge de travail.
Rédigé par : DT | 28 avril 2007 à 03:15