Le social et ses institutions :
la famille et la nation
Si "l'inconscient est le social", il est la brèche par laquelle les signifiants du social s'engouffrent dans l'entreprise.
On ne cesse de mettre en avant depuis quelques années la supériorité des performances de l'entreprise familiale sur celles de l'entreprise publique. On invoque en général la prudence ; c'est probablement vrai, mais j'ai eu l'occasion de constater que souvent les dirigeants des premières entretiennent, certes de façon inconsciente, de meilleurs rapports avec le capital signifiant de l''entreprise que ne le font les dirigeants des secondes. Les difficultés du Club Med après le départ des Trigano père et fils, de même que l'échec de John Sculley à la tête d'Apple dans les années 70, sont des exemples parmi d'autres.
On sous-estime encore largement la fonction capitalistique de l'entreprise. En France, on raisonne volontiers en terme de gouvernance là où d'autres, c'est le cas en Suède et en Finlande, s'intéressent à ce qu'ils nomment la "ownership function".
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le capital social remplit une fonction importante dans l'entreprise, non seulement par la façon dont s'y organise la gouvernance, mais aussi par l'identité des actionnaires. Le lien entre capital social et capital signifiant est une clé indispensable pour comprendre une entreprise et agir sur ses performances, le premier pouvant renforcer ou affaiblir le second.
Les nations, comme les familles ou les personnes, sont une fabrique de signifiants, pour reprendre les termes de Pierre Legendre. On a voulu croire, dans les années 80, à la multinationale totale, c'est à dire définitivement émancipée des cultures liées aux pays. On se rend compte aujourd'hui qu'on a trop rapidement confondu possession du capital et nationalité d'une part, et théorie et pratique du management d'autre part.Il est intéressant de constater par exemple le succès que rencontre le signifiant Suède dans la façon dont il est "marchandé" par un groupe comme Ikea. Une société comme Renault, pour prendre un autre exemple, conservera des traits spécifiquement français indépendamment de la nationalité de ses actionnaires. La fameuse "vitrine sociale" de l'après-guerre a aussi été celle de l'inconscient de tout un pays.
L'évolution actuelle du capitalisme mondial est un puissant révélateur ; il montre à quel point l'identité de l'entreprise est bien moins l'emprunt d'une image qu'une production signifiante. Je le redis, l'entreprise n'est pas un objet en quête de parure mais un sujet proposant une signature. Le signifiant, qu'il soit transmis par l'entrepreneur, sa famille ou son pays, est l'encre qui lui permet de s'imprimer durablement.
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