Claude Lévi-Strauss n'aura donc pas achevé sa cent unième année, mais on peut être assuré que son oeuvre et sa pensée iront bien au-delà. Lors de son centenaire, il y a un an, j'avais profité de l'événement pour rappeler quelques grandes lignes de sa pensée.
Aujourd'hui, la presse retrace l'essentiel de son travail et il n'est pas utile d'en rajouter. Je me bornerai donc ici à lui rendre hommage par une simple citation. Elle est extraite d'un de ses livres qui n'a pas connu la notoriété de Tristes Tropiques mais qui est fondamental sur ce que j'appellerai la dimension inconsciente d'un métier.
Ce livre est La potière jalouse. Claude Lévi-Strauss y montre comment tout un réseau de signifiants s'organise autour d'un métier concret, lui donnant un sens qui échappe à celui qui l'exerce. Le métier dont il est question dans le livre est celui de la poterie. Je reproduis un bref passage de l'introduction, en espérant qu'il donnera envie d'aller plus loin.
"Rentrant par bateau des Etats-Unis en 1947, je conversais parfois sur le pont-promenade avec un chef d'orchestre français qui venait de donner des concerts à New-York. Il me dit un jour avoir observé au cours de sa carrière que le caractère d'un musicien s'accorde souvent avec celui évoqué par le timbre et le jeu de son instrument ; pour faire bon ménage avec son orchestre, le chef devait en tenir compte. Ainsi, ajoutait-il, en quelque pays qu'il se trouvât, il pouvait s'attendre à ce que le hauboïste fût pincé et susceptible, le trombone expansif, jovial et bon garçon ...
Cette remarque me frappa, comme toutes celles qui mettent en correspondance des domaines que rien n'incite par ailleurs à rapprocher [...] En somme, mon chef d'orchestre redonnait vie dans son secteur à des croyances anciennes et répandues selon lesquelles une homologie existe entre deux systèmes : celui des occupations professionnelles et celui des tempéraments ; croyances dont, encore aujourd'hui, on peut se demander si elles sont totalement arbitraires ou si, pour une part, elles ne reposent pas sur un fonds d'expérience et d'observation."
J'ai été à mon tour frappé par ce texte, pour avoir connu des industries proches de la poterie comme le verre ou le papier. On y informe de la matière qui est transformée soit par le feu pour le verre, soit par la chimie ou la mécanique pour le papier. Frappé parce qu'au fil de la lecture, je retrouvais à l'oeuvre dans ces industries de process, les mêmes signifiants que ceux qui sont dévoilés autour de la poterie à travers les mythes de régions diverses.
C'est dire l'actualité de la pensée de Claude Lévi-Strauss et les ressources cachées qu'elle rend disponibles pour percer l'inconscient de l'entreprise.
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