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08 février 2010

Commentaires

XavXav

Vous écrivez : "Le regard rivé sur le marché, on oublie de s'interroger sur l'effet institutionnel, en particulier sur la réaction des salariés."

Je ne suis pas sûr de comprendre votre hypothèse de travail. Vous supposez que l'éviction brutale (mais justifiée par la logique marchande) d'une icône de l'entreprise déstabiliserait les employés ? Pour le dire plus prosaïquement, un salarié de Gillette qui apprendrait le congédiement de Tiger Woods serait troublé à tel point que sa relation avec son employeur serait transformée ?

Si j'ai bien saisi (mais peut-être suis-je déjà hors-sujet) alors je ne suis pas sûr de voir :
- Par quel(s) mécanisme(s) le salarié serait touché ;
- Pourquoi le salarié ne comprendrait pas la logique marchande de l'éviction de l'icône (logique marchande qui repose en dernière analyse sur une anticipation de ce que les citoyens-consommateurs peuvent moralement tolérer ou non) ;
- Pourquoi ces mécanismes ne s'appliqueraient pas au fan de foot qui voit année après année les joueurs "stars" se faire licencier pour absence de résultats et/ou comportement "immoral" en dehors du stade ?

DT

Je commence par le dernier point. En soutenant un club de foot, le fan participe à un spectacle mais pas à la vie instituée de ce club.

Les deux autres points se résument au premier. Quels mécanismes ? Je développerai ce point dans une note ou une série de notes à venir, car il est important. Mais pour faire court, je dirai simplement ceci: aujourd'hui,l'identité au travail tient une place de plus en plus importante dans l'identité des individus. Par ailleurs, celle-ci est de plus en plus flottante (un sociologue parle de "modernité liquide"). Le caractère éphémère de la star liée à l'entreprise accentue le phénomène généralisé de la dissolution identitaire des personnes.

Il se trouve que vendredi 19 février, Tiger Woods s'est exprimé publiquement sur les faits. Selon ses propres mots, il pense avoir été "égoïste et fou" et reconnaît avoir causé du tort à ses "partenaires en affaires". Il ajoute : "J'avais l'argent et la notoriété. Je croyais que les règles communes ne s'appliquaient pas à moi, que tout m'était permis".

Cette confession est à double tranchant. Elle le dédouane partiellement, mais en même temps, elle dévoile ce qui constitue souvent la face cachée d'une star aujourd'hui. Une entreprise ne peut plaider la surprise à ce sujet.

Ce qui pose ensuite le problème de la solidarité. Que peut penser, fût-ce inconsciemment, un salarié qui voit son institution tourner le dos subitement à son icône ? En payant une star on veut affirmer des valeurs humaines, celles de la star et celle de l'empathie pour la star. Puis au moment des faits, tout ceci s'effondre comme un château de cartes. Une façon de dire que l'institution n'est qu'une mise en scène. Il y a de quoi déstabiliser les salariés, ne pensez-vous pas ?

Je conclus ; Tiger Woods dit lui-même : "Qui suis-je ?" et il concède qu'on peut se le demander légitimement.

Ces derniers mots sont une clé. Ils posent le problème dans toute sa vérité. On entend à travers eux : Qui suis-je dans cette mise en scène qui nous dépasse ?

DT

Le Monde daté du mardi 23 février publie un encadré intitulé "Il faut sauver la marque Woods". Il y est fait mention d'un article du Guardian, résumant la nouvelle communication publique du golfeur de la façon suivant : "une personne kidnappée sur le point d'être exécutée par des terroristes". Tiger Woods avait l'air "tourmenté, en train de supplier, désespéré : il ne manquait que des hommes armés cagoulés debout derrière lui."

Une métaphore efficace pour montrer les servitudes cachées de l'image, et les aléas liés à son utilisation.

XavXav

Je lirai avec intérêt votre note sur l'impact subi par l'employé Gillette car je ne suis pas encore convaincu. Une "entreprise" ne pourrait pas plaider la surprise sur la face cachée d'une star, en revanche l'employé lui serait pris au dépourvu et verrait que le "discours" institutionnel de son entreprise est faux, qu'il s'effondre comme un château de cartes ?

C'est vrai qu'en première lecture, Tiger Woods, ce deus ex machina, vient de démontrer, si besoin était, que sa "relation" avec Gillette n'était que strictement commerciale et reposait uniquement sur le chiffre d'affaires qu'elle allait générer. Mais j'ai du mal à imaginer que les employés Gillette ne le savaient pas, et que cette "révélation" les déstabiliserait. Vous y voyez le symptôme de la modernité liquide de Bauman, moi j'y vois plus simplement le mécanisme de lynchage du bouc émissaire de Girard.

Mais peut-être que je me trompe et que les salariés Gillette (ou d'autres entreprises) sont affectés. J'imagine qu'en tant que sociologue vous avez recueilli la parole des employés concernés (celle de Tiger Woods importe peu ici) pour y mettre à jour les mécanismes que vous exposez ?

(enfin pour l'anecdote, vous écartez je trouve bien vite le fan de foot comme simple "participant à un spectacle" alors qu'il se définit au contraire comme un acteur prépondérant de la vie instituée et sociale du club ; cf. Bromberger et al., "Le match de football, ethnologie d'une passion partisane à Marseille, Naples et Turin").

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