"Tout au long de sa vie, Freud n’a cessé de répéter que l’inconscient ignore le temps. En effet, les comportements individuels et collectifs sont déterminés par des répétitions dont la logique ne se livre pas spontanément. Le phénomène est connu et théorisé depuis plus d’un siècle pour les premiers, mais pris en compte seulement depuis peu pour les secondes. Si de nombreux travaux lui ont été consacrés après la guerre, ce n’est qu’au début des années 1980 qu’il a fait l’objet d’un large consensus. Pour la première fois, avec la notion de « culture d’entreprise », un mot était mis sur une réalité qui, dans un même mouvement, transcende les personnes et fait preuve de constance dans le temps. Mais le concept est trop ancien pour innover dans la pratique. En nommant la chose, il a le mérite de la rendre perceptible, mais il reste muet sur la façon dont il est possible de la mettre à profit.
Dans le monde d’aujourd’hui, le principe de la répétition liée à la notion d’inconscient pose un problème : en effet, sujette à la sanction du marché, l’entreprise doit s’assurer en permanence que son offre est en phase avec la demande. Or le capitalisme est un système dont l’histoire s’est accélérée au cours des dernières années. De nombreux facteurs comme la globalisation des échanges, les progrès de la technologie ou la financiarisation de l’économie, entre autres, créent des bouleversements profonds dont les conséquences perturbent les entreprises. Celles-ci sont soumises à une exigence continue de changement.
La contradiction est claire : d’un côté des entreprises déterminées par la répétition de l’inconscient, de l’autre un environnement en perpétuelle évolution. La question est donc simple : que se passe-t-il lors de la rencontre entre deux dynamiques aussi opposées, entre la stabilité de l’institution et l’instabilité de l’environnement dans lequel elle évolue ?
Le temps de l’inconscient s’inscrit dans la très longue durée ; dire que celui de l’économie actuelle est dans le court terme est un euphémisme, il est quasiment dans l’instantané. Des facteurs tels que l’organisation, les ressources humaines, l’actionnariat ou le business model, traditionnellement considérés comme stables, sont devenus des variables d’ajustement susceptibles de se modifier à tout moment. Les contraintes du changement ne sont pas une violence faite à l’inconscient de l’entreprise mais plutôt à ses modes d’expression.
Il est donc faux de croire que le capitalisme moderne et les réflexes rapides qu’il impose se sont émancipés des effets d’une temporalité au long cours. Bien au contraire, plus ces derniers sont ignorés, moins ils sont contrôlables. Les retours du refoulé sont alors d’autant plus insistants, et ils entrent dans une spirale dangereuse où l’action se radicalise dans l’espoir – souvent déçu – de les plier aux exigences du résultat immédiat. La confrontation systématique entre les caprices du court terme et les volontés du long terme est une source croissante d’incertitude pour les dirigeants d’entreprise. Au cœur de ce choc des contraires, ils sont en permanence obligés de décider ce qu’ils doivent, ce qu’ils peuvent mais aussi ce qu’ils veulent changer. Fatalité ou opportunité ? "
("L'inconscient de la fnac : l'addiction à la culture", Bourin Editeur, p 11)
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