A l’occasion de la récente interview de Franck Riboud dans le Figaro (3 juillet 2006), commentée par Michel-Edouard Leclerc, la structure du capital de l’entreprise est un thème qui refait surface. Les raisons ne sont pas forcément celles que l’on croit.
Le patriotisme qui s’est exprimé lors d’une alerte en bourse en 2005, a-t-il un avenir ? Rien n’est moins sûr. En revanche, Franck Riboud émet une idée, je cite : « ce n'est pas mon rôle d'entrepreneur de verrouiller le capital de Danone »
Le capitalisme français a bien évolué. L’actionnaire a partiellement rééquilibré les forces en sa faveur au détriment du dirigeant. La séparation des pouvoirs qui en résulte fait apparaître un phénomène dont le thème déjà ancien de la gouvernance d’entreprise n’est qu’un symptôme. Concentrée sur l’exercice du pouvoir, celle-ci occulte une réalité : la fonction capitalistique de l’entreprise. De quoi s’agit-il ?
Le capital d’une entreprise ne se réduit pas à sa valeur monétaire. Les transactions marchandes dont il fait l’objet tendent à le faire croire, laissant dans l’ombre sa valeur affective. Pour une entreprise, le capital n’est pas un chiffre, il est doué de mémoire. Quelques exemples :
La Fnac est un cas d’école. L’ayant abandonné avec précipitation, les fondateurs ont condamné son capital à une dépersonnalisation durable. Qui peut affirmer qu’aux mains de son sixième actionnaire en une cinquantaine d’années d’existence, son errance a pris fin ?
Le Club Med est un autre exemple. Six ans seulement après sa création en société, l’entreprise passait en partie sous le contrôle d’actionnaires divers dont les Rothschild, les Agnelli et quelques institutionnels français et étrangers, par nécessité, faute de capitaux. Il faudra tout le talent de G.Trigano pour gérer un tour de table aussi compliqué. Introduit en bourse, abandonné par les Agnelli et sujet à un aller-retour aux allures de blitz mené par Accor, le capital est maintenant partagé entre Richelieu Finance et différents actionnaires parmi lesquels Air France ou la Caisse de Dépôt et de Gestion du Maroc. Un autre orphelin, dont le destin semble également être voué à l’errance.
Dernier exemple enfin : Danone. Si le spectre d’une OPA est devenu sensible, c’est précisément parce que le capital se souvient de son histoire. Antoine Riboud l’a construit pour la croissance et non pour la défense, en lui sacrifiant par dilution celui de l’entreprise familiale sur laquelle il s’est appuyé.
On pourrait multiplier les exemples. Mais il apparaît clairement que la structure du capital d’une entreprise est porteuse de sens et de mémoire. Avec 18% du capital, Bouygues est encore une entreprise familiale. Avec 60% du capital aux mains des fondateurs en 1970, la Fnac n’était déjà plus une entreprise familiale. Pourquoi ?
Dans un cas, les alliances sont un ciment, dans l’autre, elles sont éphémères. On a trop longtemps négligé qu’au-delà des chiffres qui le mesurent, le capital est essentiellement une institution sociale. Il n’est donc pas étonnant que sa structure « veuille dire » quelque chose.
La force d’une alliance est dans son histoire. Sans mémoire, elle demeure fragile. C’est bien parce qu’il est « social » que le capital d’une entreprise repose sur un lien que seul le temps peut fortifier.
Vous parlez, à juste titre d'ailleurs, d'une dépersonnalisation du capital. Il faut reconnaître qu'actuellement, c'est une tendance lourde. Plusieurs articles récents dans la presse anglo-saxonne laissent entendre qu'aucune entreprise n'est trop importante pour ne pas être rachetée, notamment par des fonds, même si la réalisation pratique est peu probable.
Rédigé par : Jean-B | 31 août 2006 à 19:34
J'aime bien votre exemple Bouygues et Fnac. On a le sentiment que le "familial" n'est pas seulement un montage juridique mais aussi une mentalité.
Ayant eu l'occasion de lire votre article dans Le Monde je me souviens de votre mention du "familial" toujours à la source de l'entreprise. A l'inverse de la Fnac, y a-t-il des exemples de sociétés cotées ayant conservé l'esprit de famille ? Je n'en vois pas beaucoup.
Rédigé par : Eric | 06 septembre 2006 à 17:34