On partira de la conclusion de ma derniere note. Quarante ans après les événements, le mouvement de Mai 68 a déjà une histoire, celle de ses interprétations.
Les années 70 lui ont été favorables. 1985 a été un tournant avec le livre de L.Ferry et A.Renaut sur la "Pensée 68", dénonçant son idéologie "antihumaniste". Les quarante ans sont l'occasion de relancer une question qui est loin d'être épuisée.
Dans la revue Le Débat (mars-avril 2008), Marcel Gauchet non seulement s'en prend à Mai 68, mais il fustige à travers son bilan toute une génération qu'il qualifie d'imposteurs, ces baby-boomers en lesquels il voit les porteurs fidèles d'une vision du monde brusquement dévoilée dans l'explosion du mois de mai 1968. Ce déplacement de l'événement à la responsabilisation de toute une génération est un amalgame qui, à l'heure actuelle, se répand insidieusement dans les esprits.
D'après M.Gauchet, la génération 68, sous des aspects faussement modernes, a perpétué les archaïsmes de la société française en consolidant "notre fatal modèle étato-aristo-clérical". Bref, les blocages actuels de la société française jettent la suspicion sur un mouvement spontané d'il y a quarante ans.
Or, c'est précisément à propos de ces blocages que Michel Crozier s'était livré en 1970 à une interprétation du phénomène. Dans son livre "La société bloquée", il avance que la subversion visait plus les institutions de la vie quotidienne, comme l'université ou l'entreprise, que l'organisation du pouvoir politique dans son ensemble. Les français ont cherché à modifier le système de relations humaines qui régit chez nous l'action collective, avant de penser à construire la société sans classe.
Pour l'un, mai 68 est une tentative de faire sauter les verrous de la société française et pour l'autre, l'idéologie qui a permis à toute une génération de les consolider.
Pire ; on connaît la thèse consistant à faire de Mai 68 la profession de foi de l'individualisme sur lequel repose le narcissisme post-moderne dont la consommation marchande avait besoin pour son développement, comme si en lieu et place d'un mouvement subversif il s'était agi d'une adaptation brutale des esprits au capitalisme de notre époque. Bref, une révolution culturelle aux accents maoïstes au service des multinationales.
Tout ceci prouve qu'à condition d'être cohérent, l'histoire est le lieu de toutes les manipulations ; d'où l'extrême vigilance à observer dans ce domaine.
Ce que Raymond Aron a qualifié de "marathon de palabres" n'en a pas moins été un phénomène signifiant, doté d'un sens, et la tentative de résoudre une difficulté. Entre l'attitude qui consiste à réduire Mais 68 à de simples mots, et celle qui l'accuse d'avoir conçu le monde d'aujourd'hui, il n'est pas inutile d'évoquer les refoulements propres à notre pays qui ont été sidérés l'instant d'un mois devant cette explosion pulsionnelle collective et qui, au nom d'un élan bien laborieux vers l'avenir, n'ont de cesse de condamner avec enthousiasme à la fois le passé et les efforts déployés pour s'en émanciper.
Tel est le projet, j'en profite pour le signaler, de la soirée organisée par le Forum d'action Modernités au Théâtre du Rond-Point, le 2 juin, sur le thème "L'impensé(e) 68". L'entrée est libre, il suffit de s'inscrire ici.
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