Ces derniers temps, je souhaitais faire une note sur la mode du Storytelling, qu'il s'agisse du phénomène en tant que tel ou de la critique qui lui est adressée, notamment dans un livre récent *.
Dans ce livre, l'auteur dénonce, à juste titre, une "violence symbolique qui pèse sur l'action des hommes" pour "influencer leurs opinions, transformer et instrumentaliser leurs émotions". Cette violence, écrit-il, opère essentiellement par la substitution du mode narratif à celui de la pensée rationnelle.
Une note récente, publiée sur le blog Lost in Management, que je lis avec grand intérêt, me dispense d'une partie du travail que j'avais prévu. On y apprend comment au fond, ce qui nous est présenté comme une nouveauté est vieux comme le monde. Bien souvent, la gloire d'un mot ne fait que réveiller celle d'une pensée.
Dans le même esprit, il me semble qu'il serait juste de rendre également hommage à celui qui, voilà quarante ans déjà, avait parfaitement théorisé et anticipé l'émergence du Storytelling : Guy Debord. Dans La société du spectacle (1967), puis dans ses Commentaires (1988), tout y est. Quelques extraits :
"La réalité vécue est matériellement envahie par la contemplation du spectacle : la réalité surgit dans le spectacle, et le spectacle est réel". (8)
"Le spectacle est une activité spécialisée qui parle pour l'ensemble des autres." (23)
Des considérations remontant donc à 1967. Dans cette invasion générale du terrain de la raison par le spectacle, aujourd'hui rebaptisé Storytelling, Guy Debord voit, vingt ans plus tard, en 1988, une poussée de ce qu'il appelle le Spectaculaire Intégré, une forme encore plus évoluée du phénomène notamment dans sa capacité à se mondialiser. Il écrit :
"Le spectacle s'est mélangé à toute réalité, en l'irradiant"
Guy Debord avait parfaitement anticipé la tendance contemporaine à éluder l'histoire par la production d'un récit qui s'apparente à :
"la construction d'un présent [...] qui veut oublier le passé et qui ne donne plus l'impression de croire à un avenir".
Ce qui l'a conduit à énoncer cette vérité dont, à n'en pas douter, le développement durable doit impérativement se préoccuper :
"Les hommes ressemblent plus à leur temps qu'à leur père".
Difficile, aujourd'hui, de ne pas conclure avec cette remarque de Guy Debord :
"Rien, depuis vingt ans, n'a été recouvert de tant de mensonges commandés que l'histoire de mai 1968".
Ecrits en 1988, il y a exactement vingt ans, ces mots s'imposent naturellement en ce mois de mai 2008. Etonnante mécanique de précision dans l'horlogerie des dates !
* Christian Salmon : Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2007.
Je trouve la référence à G. Debord excellente. Et je regrette de ne pas y avoir pensé avant !
Entre la Bruyère, Pascal, Platon et Debord, le storytelling est bien entouré ! Ou plus exactement, cela démontre que cette histoire a déjà ... une longue histoire. J'ai bien aimé aussi l'article sur Mai 68, qui a également quelque chose à voir avec le storytelling.
Vincent Toche
Never be Lost In Management !
Rédigé par : Vincent Toche | 23 mai 2008 à 12:33