Deux salariés viennent d'obtenir la condamnation du groupe Renault pour discrimination raciale ; la nouvelle a été largement relayée par la presse et les réactions n'ont pas manqué. L'une d'entre elles, mais ce n'est pas la seule, estime que Louis Schweitzer, l'actuel président de la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité) qui a dirigé le groupe pendant plus de 12 ans, a "discriminé les gens sur [...] leurs origines".
J'ai longuement commenté les difficultés de Renault lors des suicides qui se sont produits au Technocentre en 2007, insistant sur l'historique mouvementé des relations sociales au sein du groupe, depuis ses origines. Il en ressortait que le défaut d'institutionnalisation et le climat anxiogène qui en découle avaient favorisé ces incidents tragiques.
Paradoxalement, ces faiblesses du groupe constituent un argument susceptible de contredire sa prétendue culpabilité en matière de discrimination. Peu institué, souvent organisé au gré des initiatives personnelles et parfois clandestines, le travail chez Renault n'exprime que très rarement des valeurs officiellement revendiquées. Si des discriminations ont pu avoir lieu, et il ne s'agit pas ici de contester une décision de justice, elles ne reflètent pas forcément un parti pris de l'entreprise. Précisément, les manquements de l'institution constituent un garde-fou contre une dérive d'ordre idéologique généralisée à l'ensemble du groupe.
Le défaut d'institutionnalisation est un mal endémique chez Renault, dont j'ai déjà dit qu'il repose sur un refoulement très ancien, étroitement lié à la personnalité du fondateur, Louis Renault. L'homme avait bien des défauts, dont certains font encore partie du Capital Signifiant de l'entreprise. Mais il ne les avait pas tous ; et s'il y a une chose qui lui était totalement étrangère, c'est toute une idéologie qui sévissait à son époque. Ni les propos de Louis Renault, qui a dirigé l'entreprise pendant 45 ans, ni ses actes, ne traduisent le moindre penchant à la discrimination raciale. L'homme n'était pas un idéologue. Ses amitiés le prouvent, notamment celle qui l'a rapproché d'Albert Thomas, un proche de Jean Jaurès.
Ces deux condamnations ont sans aucun doute le mérite de rappeler la nécessité d'une vigilance de chaque instant dans le domaine des discriminations au sein de l'entreprise. Mais en ce qui concerne le groupe Renault, il faut prendre garde de ne pas verser dans un mauvais procès intenté à la structure ou à son dirigeant.
Je ne parviens pas à laisser de commentaire sous "storytelling : quelques antécédents".
Je voulais vous soumettre deux réflexions concernant ce billet.
1) Le storytelling, qui ne se soucie guère de la vérité, m'a semblé toujours être cette arme qui engonce l'être dans ce que Zaki Laïdi appelle "la nasse du présent" (Z. Laïdi, "Le Sacre du Présent") : c'est le présent que vous énoncez, coupé de son passé et sans souci de l'avenir. En effet le passé y est roman et l'avenir, dans cette narration, n'apparaît que sous la forme de la crainte ou de l'espoir. Le storytelling est faconnement d'un instant dénué d'histoire et de perspective.
C'est ce que j'aimerais appeler un instant médiatique, par opposition à un instant immédiat qui à la fois résulterait d'un passé "pur" (non trafiqué) et serait le lieu naturel à la construction de l'avenir.
2) "Les hommes ressemblent plus à leur temps qu'à leur père". Mais nos pères, en tout cas ceux de ma génération (née en 1980), ne ressemblaient-ils pas déjà à leur temps ? Cela au moins nous aurions de commun.
Et nos fils ? ils grandiront dans un environnement outrancièrement médiatique et rien ne m'indique qu'ils y seront moins que nous sensibles.
Par itération je demande : notre structure médiatique n'implique-t-elle pas un plafonnement asymptotique de notre courbe d'évolution ?
Rédigé par : Pfeireh | 18 mai 2008 à 12:58