Autres interventions
Comme je l'ai indiqué en introduction, il est impossible de couvrir tout ce qui a été dit durant cette journée. Je conclus ici avec quelques points soulevés parmi les autres interventions.
En ouverture, Elie Cohen a développé le thème de la contradiction entre la mondialisation et la financiarisation d'une part, qui favorisent un éclatement de l'entreprise, et la nécessité pour elle d'accumuler du "capital humain", d'autre part.
Il ressort de son propos que l'entreprise est écartelée entre deux registres différents. Il y a la dynamique purement économique, organisationnelle et juridique de l'entreprise, qui est centrifuge ; et la dynamique centripète et non-marchande susceptible de construire durablement un lien humain.
François Jullien s'est placé sur son terrain de prédilection, le questionnement des concepts à partir desquels l'Europe s'est construite, en les rapprochant des catégories de la pensée chinoise.
Il en a profité pour "inquiéter", selon ses termes, cette notion d'identité à laquelle nous sommes habitués et qui, comme l'être chez les grecs, participe plus du statique que du mouvement. Remettant en cause notre propension à confondre l'universel et l'uniforme, il a posé l'importance du singulier dans la genèse de l'identité. D'où l'importance de la considérer en termes de "fécondité et non plus selon les catégories de l'être.
En conclusion de nos trois interventions, Jean-Paul Bailly, Président du groupe La Poste , et Président de l'Anvie, s'est félicité de leur convergence. Il est apparu en effet qu'un changement de paradigme est en train de s'opérer dans la conception que l'on doit se faire de l'identité de l'entreprise. La constitution du capital humain en marge d'un éclatement de l'entreprise, pour Elie Cohen, le passage de l'identité à la fécondité pour François Jullien, et l'évolution de l'image à la parole ou, comme je l'ai formulée, de la parure à la signature, semblent décrire de trois façons distinctes le même schéma évolutif.
Je mentionnerai pour conclure deux autres interventions.
Philippe d'Iribarne a posé la question des relations qu'entretiennent la culture d'entreprise et la culture des nations. Il a rappelé qu'après avoir pensé que l'entreprise pouvait et devait transcender les frontières en matière de culture, on devait se rendre à l'évidence : "les cultures nationales résistent".
Il a ensuite développé l'exemple d'une entreprise française installée en Chine pour montrer qu'elle s'est adaptée non pas en devenant chinoise mais en réussissant à recruter des salariés chinois dont les profils individuels sont compatibles avec sa culture. L'exemple suggère clairement cette idée que, pour ma part, je formulerai ainsi : en matière de culture, les nations, les entreprises et les personnes sont traversés par des signifiants communs, les différences et les singularités résultant beaucoup plus de leur combinaison que de leur nature.
Enfin, Thierry Dombreval, DG Europe de Toyota, a présenté un aspect de son groupe, peu connu du grand public. Cette entreprise qui vient de se hisser à la première place mondiale dans le secteur automobile, présente encore à ce jour tous les traits de l'entreprise familiale. En témoignent une modestie et une humilité de ses dirigeants, d'une part, ainsi que l'attachement encore très fort de l'entreprise au lieu de ses origines. La ville dans laquelle est née le groupe s'appelait Koromo et a été rebaptisée Toyota en 1959, prenant ainsi le nom de l'entreprise qui la fait vivre : un exemple de la façon dont l'identité d'une entreprise parvient à s'insérer dans le registre du social.
Fin
Jean-Paul Bailly a bien reconnu une tendance de fond dans vos trois discours.
"Un changement de paradigme" énoncé par le directeur du groupe La Poste lui-même, voilà qui devrait faire réagir et amener chacun à se préparer à lutter sur ce nouveau champs de bataille.
D'autant que, comme l'indique l'exemple rapporté par M. d'Iribarne, il est certain que le succès en matière humaine passe d'abord par une bonne connaissance des fondamentaux sur lesquels l'action de l'entreprise repose (sa "culture", terme sans doute modulable selon que vous l'employiez, ou que vos co-intervenants l'emploient) et chacun s'accorde à penser que l'aspect humain est primordial pour mener l'entreprise au succès, ce dont il s'ensuit que s'intéresser à l'inconscient de l'entreprise, à sa "fécondité" (je n'en peux que deviner le sens), ou à son inscription dans un environnement social qui la dépasse, voilà qui est le chemin d'une plus forte productivité et du succès marchand.
Mais rien, je ne vois rien. Vous me répondiez il y a de cela un an que l'étude de l'inconscient de l'entreprise intéresse au plus haut point les comités de direction, mais que c'est à la marge que certains décident d'y avoir recours et d'en tirer les conséquences. Je constate chez mes clients des difficultés semblables lorsque je cherche à les faire creuser jusqu'à la racine d'un problème (avec parfois, tout de même, de grandes satisfactions).
Le discours si répandu sur l'importance de l'homme et de l'interrelationnel dans l'entreprise est-il hypocrite ? ou bien doit-on voir dans la réticence des entreprises à avancer vers ce nouveau paradigme un aveuglément paralysant (inconscient ou pas) ?
Si la deuxième solution obtenait votre préférence, lui donneriez vous une explication :
* économique - peur de s'engager sur une route nouvelle tant que la concurrence ne s'y engage pas,
* psychologique / psychanalytique - incertitude de l'innovation, refoulement,
* politique - rapports de pouvoirs à l'intérieur de l'entreprise qui pourraient s'en trouver changés, certains profils accédant au pouvoir sous le nouveau paradigme alors que d'autres, puissants aujourd'hui, s'en trouveraient écartés ?
Et ces questions corollaires : quels seraient les éléments probants pour persuader de la nécessité de l'innovation ? Comment abattre les barrières qui se dressent encore face au changement nécessaire ?
La philosophie vous inspire-t-elle des solutions (ou bien la psychanalyse, qui est tout entière tournée vers ce "changement dans la continuité") ?
Peut-être je me trompe en dressant ce constat. Certainement je n'en ai pas énuméré toutes les causes possibles.
Mais, une fois encore, je suis impatient et vous remercie par avance de votre apport.
Rédigé par : Pfeireh | 01 novembre 2008 à 10:09
Thanks for your comment on my piece. In response to your question, it seems to me that there are a couple of things going on. One is that it is necessary at this point to deal with both the losses and risk hitting the financial system from continuing problems in the real economy and also to shore up the capital positions of the banks and other financial institutions. It's not surprising that the Fed, which is specifically charged with keeping the banking system on solid ground, would focus there first.
With regard to why there aren't more plans to bail out homeowners, it does seem that these are beginning to appear. One difficulty is in seeing how to do this in such a way that the results are perceived to be fair and at reasonable cost. For example, McCain's proposal to buy up delinquent mortgages would be very expensive and is perceived as being another bailout to the lenders, since they would not be expected to write down the principal on the loans. But on the other hand, Sheila Bair's idea of providing incentives for those write-downs suffers from the lack of any mechanism to force that to happen, so if lenders don't voluntarily write down the loans, the plan doesn't work.
But I actually think that we are eventually going to end up doing something like the approach I am proposing. The real question is how much collateral damage will occur in the meantime.
Rédigé par : Stephen Figlewski | 01 novembre 2008 à 21:03
1. Comme vous le dites, c'est plutôt la deuxième solution qui correspond à la réalité.
Individuellement, une majorité de dirigeants font preuve d'un engagement sincère et de qualités morales affirmées. Mais ils sont aux prises avec tout un système (juridique, économique, financier, concurrentiel, politique, institutionnel ...) qui les dépasse et à travers lequel leurs propos et leur comportement subissent des distorsions dans la façon dont ils peuvent être perçus.
Individuellement, toujours, les cadres intermédiaires sont encore plus instrumentalisés au coeur de ce carrefour institutionnel qu'est l'entreprise.
La notion d'hypocrisie n'est donc pas appropriée car, si elle s'applique à quelques uns (il y en a tout de même) elle n'est pas le vice le mieux partagé du management.
2. Pour reprendre vos différents points :
Le motif économique est vraisemblable car l'effet moutonnier est une réalité parmi les entreprises qui s'observent les unes les autres dans un univers concurrentiel.
Le motif psy / refoulement est certain ; l'élément humain ne s'instrumentalise pas si facilement. Le laisser s'exprimer fait peur comme s'il s'agissait d'ouvrir la boite de Pandore.
Le motif politique est également un facteur de résistance ; mais à nouveau, ce sont les institutions qui perpétuent une certaine forme de pouvoir à laquelle se plient les acteurs.
3. Quelques cas concrets à titre d'exemples.
La Fnac telle que la gérait André Essel, avait une composante "humaine" qui n'était pas qu'illusoire : redistribution du profit, pouvoir peu autoritaire, liberté de parole ...
Je pense également que le "double projet" d'Antoine Riboud alors PDG de BSN, est toujours une réalité dans le Danone d'aujourd'hui.
Enfin, je ne saurais que trop vous recommander la lecture du livre de Pierre Bilger "Causeries à batons rompus" dans lequel on assiste en direct à la réflexion sincère d'un dirigeant de grand groupe sur toutes ces questions. (http://www.blogbilger.com/blogbilger/Causeries.html)
4. Les "éléments probants pour persuader de la nécessité de l'innovation" ?
Tous les acteurs sont persuadés de cette nécessité. Le problème est la résistance des institutions. Ce qui nous ramène au coeur de la problématique du management : comment gérer ce qui n'est pas un objet mais un sujet ?
A la question que faire ? ou comment faire ? qui sous-tend vos propos, la réponse mérite en effet plus de développement. A ce stade, je dirais pour faire simple qu'il s'agit, pour un conseil, d'aider le manager à se défaire de la croyance en la possibilité de crier plus fort que l'institution et d'apprendre à dialoguer avec elle, ce qui exige une attitude nouvelle à l'égard des faits et des personnes.
5. Oui, philo et psy apportent une aide considérable. Notamment en permettant de penser la dichotomie individu / institution. L'une des principales limites qui sévit dans les représentations du management, c'est l'opposition manager-décideur-volontariste / organisation-objet à configurer. Le sujet étant supposé du côté du manager et de ses relais (ressources humaines)et l'instrument, du côté de l'organisation. De Nietzsche à Vincent Descombes, en passant par Wittgenstein, Freud, Weber, Lacan, Levi-Strauss, Mary Douglas, pour ne citer que ceux-là, il ne s'agit que du déplacement du sujet qui sort des limites étroites de l'individu pour investir le champ du collectif, notamment des institutions.
Ce retard dans les représentations dominantes du management est un écueil qui fait que, dans l'entreprise, les discours sur l'homme traduisent à la fois le penchant des individus pour ce que les américains appellent le "wishful thinking" et celui des institutions qui s'en emparent et en disposent à leur guise.
Merci pour ces remarques et l'échange qu'elles suscitent.
Rédigé par : DT | 02 novembre 2008 à 14:36