La Fnac serait donc en vente. Pour la septième fois en cinquante ans d’histoire, son capital va peut-être changer de mains. Depuis les fondateurs, Max Théret et André Essel, se sont succédé l’UAP et Paribas, les Coop, la GMF, le Crédit Lyonnais et le groupe PPR. J’oubliais au passage, une introduction en bourse puis le retrait complet, la participation d’Habitat au capital (20%) pendant une brève période et enfin, pour mémoire, un projet de fusion, sérieux mais qui n’a jamais abouti, avec le Club Méditerranée.
Je laisse volontairement de côté la question concernant la stratégie de l’actionnaire, le groupe PPR : elle est abondamment traitée par la presse. Je préfère revenir sur un thème, développé dans mon livre, et que l’événement fait resurgir : la dépersonnalisation du capital.
La question est la suivante ? Le capital social d’une entreprise n’est-il qu’un montant chiffré aux contours juridiques ? Je pense que non. C’est aussi un élément chargé d’un sens et d’une mémoire qui ont leur source dans le rapport entretenu par les fondateurs avec leur entreprise.
Un ancien dirigeant de la Fnac me racontait que lorsque Max Théret et André Essel cédèrent le reste de leur participation aux Coop en 1977, l’une des figures du patronat de l’époque, indigné, lui déclara : « On ne vend pas ses enfants »
La Fnac n’a jamais eu l’esprit d’une entreprise familiale A cela deux raisons.
La première tient au fait que les fondateurs n’ont jamais associé de membres de leur famille à des postes de direction. Les raisons sont multiples et relèvent de leur vie privée. Toujourss est-il que la perspective d’une continuité des générations n’a jamais été un signifiant disponible dans l’entreprise.
La seconde est liée à la relation existant entre les deux fondateurs. Complémentaire mais lestée d’une sourde rivalité, elle a eu pour résultat un retrait partiel de Max Théret au bénéfice d’André Essel. L’un a pris le large, parcourant le monde à la recherche de produits nouveaux, l’autre gérait le quotidien. Ce partage naturel des rôles a conduit Max Théret à se rapprocher de l’actionnaire et André Essel des salariés.
Un véritable clivage s’est installé dans l’entreprise coupant l’actionnaire des forces vives de l’entreprise. Le capital s’est en quelque sorte « dévitalisé », suivant une stratégie dont la logique lui est propre, tandis que les salariés se sont habitués à une « société sans père ». Max Théret me disait encore récemment qu’André Essel se définissait comme un « chef de bande » ; à la Fnac, la fameuse « alliance avec le consommateur » s’est toujours doublée d’une alliance du Président-fondateur avec les salariés.
Après son départ, et trois successeurs plus loin, André Essel disait qu’aucune autre entreprise n’aurait survécu à la direction de ces « trois guignols » ; la Fnac, selon lui, a démontré qu’elle peut fonctionner en se passant des services d’un Président nommé par l’actionnaire.
Le capital social de la Fnac a une histoire ; il est orphelin. L’errance à laquelle il semble condamné facilite la rotation des investisseurs. Paradoxalement, ces mouvements ne pénalisent pas l’entreprise ; son développement est là pour en témoigner. En revanche, l’expérience prouve qu’il est difficile pour un orphelin de créer un avenir, faute de pouvoir s’appuyer sur un passé.
J’ai la conviction que la Fnac a un bel avenir devant elle. Mais son talon d’Achille est dans la coupure entre son capital social et son capital signifiant. L’un semble devoir errer sans but ; l’autre est d’une richesse incomparable. Cette réalité, parmi d’autres, doit être la toile de fond de toute décision à caractère stratégique concernant la Fnac.
Dit autrement, la Fnac souffre d’un défaut de cet élément que j’ai défini en un autre lieu, (Le Monde du 2 février 2005) : la mémoire du « familial des origines ».
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