Après la bataille des mots, on en vient aux actes. Bernard Tapie est donc entré dans le capital du Club Med, à concurrence de 1%.
D'abord, l'enjeu : une entreprise de taille moyenne, mais dont la marque est mondiale et riche en affect. Ensuite les leviers : il s'agit indéniablement du capital, Bernard Tapie essayant de le restructurer et Henri Giscard d'Estaing de s'en faire un allié. L'objectif de chacun est donc de créer des alliances avec des investisseurs amis. La lutte pour le contrôle du Club Med est une lutte d'influence au coeur des milieux financiers. Enfin, les intérêts : Bernard Tapie veut influencer la stratégie du groupe voire le diriger tout simplement mais, désormais, il gère par la même occasion une partie de son patrimoine. Henri Giscard d'Estaing, lui, défend une position de pouvoir même si le cours du titre peut avoir des conséquences sur une partie de sa rémunération par les stocks-options.
Deux styles s'affrontent. Bernard Tapie, c'est le spectacle, les paroles tonitruantes et leur amplification par les médias. En face, on reste plus discret et on consulte. Le journal le Monde va plus loin, évoquant un vague air de lutte des classes.
Bref, le peuple contre l'aristocratie. Le trait est un peu forcé mais il ne faut pas s'arrêter aux personnes car à travers elles, ce sont deux stratégies qui s'opposent. L'une prétend qu'il faut redonner au Club son côté populaire. L'autre maintient le cap sur le haut de gamme initié depuis des années.
La faiblesse d'Henri Giscard d'Estaing, naturellement, ce sont les résultats décevants qui se succèdent d'année en année. La stratégie du haut de gamme ne convainc pas, comme je l'ai déjà évoqué ici et là. Or, ce qui se passe actuellement prend tout son sens à la lumière du passé.
Fondé en 1950 par Gérard Blitz comme association, le Club Med devient une SA avec l'arrivée de son associé Gilbert Trigano, en 1954. Contrastant avec le miracle de la marque, la situation financière de l'entreprise a toujours été précaire. Comme on l'a souvent dit, on finançait de l'investissement par de la trésorerie, sachant que dans les années 50, le succès du concept était tel que les séjours de l'été étaient vendus, puis payés, avant le printemps de la même année. Dès sa naissance ou presque, le Club Med a souffert d'une pathologie de sa structure financière, due à son succès mais peut-être aussi à un excès de confiance dans un concept qui séduisait avec une force toute particulière. Au Club Med, il y a un lien structurel entre la valeur de la marque et le déséquilibre financier que je ne peux approfondir ici. Un lien qui n'est pas une fatalité, mais une réalité propre à cette entreprise. Presque 50 ans après la première impasse financière, voilà ce que dit Philippe Bourguignon auquel a succédé Henri Giscard d'Estaing, dans une récente interview :
"Le Club Med dans sa formule actuelle, ne peut pas trouver son équilibre".
On sait que, répondant à un appel au secours, des investisseurs sont entrés dans le capital, inaugurant une pratique qui deviendra la norme dans l'entreprise : son Président était condamné à gérer l'actionnariat, ses divisions et ses volontés, pour pouvoir exister. Il a fallu tout le talent de Gilbert Trigano pour y parvenir. Son fils Serge lui a succédé brièvement, cédant la place à Philippe Bourguigon, tombé à son tour au profit de ... Henri Giscard d'Estaing.
Voilà pour la forme : un Président toujours fragile en raison de résultats décevants, face à un conseil toujours mouvant, imprévisible et donc perpétuellement ingérable.
Ensuite, le contenu : qui a raison, entre la stratégie du populaire et celle du haut de gamme ?
On peut craindre que ce soit ni l'un ni l'autre. Il suffit pour s'en convaincre de constater que Philippe Bourguignon a échoué dans un sens alors que la réaction en direction opposée s'avère actuellement aussi décevante. Le débat semble condamné à s'enfermer dans une alternative nuisible au Club Med.
Car les éléments clés du projet de l'entrepreneur étaient tout autres. Selon Gilbert Trigano, le Club Med était un projet de contre-société. Le concept était précisément d'effacer tous les codes sociaux susceptibles de rappeler les différences de classes, un principe dont l'analyse a déjà été esquissée.
Parmi les anciens, on aime encore raconter cette anecdote: deux GM avaient sympathisé et ne s'étaient aperçus qu'au terme de leur séjour qu'ils travaillaient dans la même entreprise... l'un comme employé, l'autre comme président.
Le conflit qui est en train de s'organiser entre les deux extrêmes porte précisément sur ce à quoi Gérard Blitz et Gilbert Trigano voulaient échapper. Mieux, il répète d'autres erreurs du passé. Philippe Bourguigon ne s'était pas privé de critiquer la gestion des Trigano, père et fils, lors de son arrivée à la présidence du Club Med, fort de son expérience de manager chez Disney. La rigueur du gestionnaire allait prévaloir sur la fantaisie des amateurs. On connaît la suite. Or, Bernard Tapie réitère le procédé. Critiquant la gestion d'Henri Giscard d'Estaing, il lui adresse la même amabilité que celle de Philippe Bourguignon aux Trigano :
"Cette boîte est gérée n'importe comment"
Bref on se déchire le capital social pour savoir qui fera mieux que l'autre. Dommage que le grand absent du débat soit une fois de plus l'entrepreneur et le capital signifiant qu'il a investi dans l'entreprise. Parmi les nombreux points communs qui rapprochent le Club Med et la Fnac, dont il faut savoir que les fondateurs avaient envisagé une fusion, il y a la même difficulté à exercer la fonction de président, une tâche quasi impossible.
Un témoignage ? Voici celui de Philippe Bourguignon :
"J'étais dans une entreprise assez difficile, rude et ingrate. Je ne souhaite à personne les deux dernières années que j'ai passées au Club !"
Comme quoi, une fois de plus, ignorer le passé, c'est se condamner à le répéter.
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