Le Monde du 7 juillet 2006 rend compte du développement de l’affaire GM / Renault / Nissan. Je cite « Il (Kerkorian) veut un électrochoc qui fasse remonter le cours de bourse. M. Ghosn, encensé par les analystes financiers, est le patron qu’il lui faut à la tête de GM ».
Le Figaro du 7 juillet titre : « GM contraint d’étudier les propositions de Renault ».
Il devient clair que le processus qui est en cours se développe dans le registre des personnes et non dans celui des institutions. En bref, K.Kerkorian a engagé une épreuve de force contre R.Wagoner en s’appuyant sur la crédibilité de Carlos Ghosn, acquise lors du redressement de Nissan.
En quelques jours, la situation s’est inversée : sollicité par K.Kerkorian, Carlos Ghosn devient celui qui va faire des propositions à la direction de GM. Selon le Figaro, il pourrait considérer l’opportunité comme une chance unique. Tout ceci paraît logique.
Quel que soit les intentions de Carlos Ghosn, sa stratégie du moment s’inscrit dans la norme de Renault. La figure du « patron » se trouve renforcée, d’une part, et d’autre part, le groupe n’est pas immédiatement soumis à la nécessité du changement en profondeur.
J’ai expliqué en détail dans mon livre Renault ou l'inconscient d'une entreprise (p 235-261, voir extrait ) comment ces structures inconscientes du groupe Renault parviennent à se maintenir à travers les changements d’époque, notamment la figure du « patron abslu ». Le processus en cours en est un exemple de plus.
Monsieur Ishikawa, grand spécialiste de qualité, indique (dans les années 70/80 qu'il a posé la question à Renault "combien d'ouvriers sont passés cadre" et il a été surpris que ces interlocuteurs ne comprennent pas la question et répondent aucun. En effet, il semble qu'un non cadre chez Renault ne puisse espérer qu'un statut au mieux "assimilé cadre". A-t-on des informations à ce sujet? N'est-ce pas curieux pour une entreprise représentée comme un modèle social? C'est un peu hors sujet mais il serait intéressant de remettre en cause ce mythe.
Rédigé par : GerardS | 13 juillet 2006 à 13:14
Je ne pense pas que ce soit hors-sujet, au contraire. Renault est une entreprise pleine de paradoxes. Son histoire est marquée par une cassure en son milieu : de 1899 à 1944, elle est dirigée par Louis Renault et elle lui appartient entièrement. Après 1944, elle est nationalisée et donc contrôlée par l’Etat jusqu’à son désengagement progressif depuis une dizaine d’années.
Louis Renault était un autodidacte qui se méfiait des diplômés. Le directeur qui a dirigé le Bureau d’Etudes était un ancien ouvrier qui avait fini par être le bras droit du « patron ». Ainsi, de 1898 à 1944, la réponse faite à Mr Ishikawa ne reflète pas la réalité : la hiérarchie est ouverte de bas en haut. Le paradoxe est que pendant cette période, Louis Renault est un patron « absolu », autoritaire et très opposé aux syndicats ; par conséquent la mobilité hiérarchique ne reflète pas une dimension sociale de l’entreprise, mais seulement la méfiance à l’égard des diplômés.
Après la nationalisation, les choses ont changé. Nommé par l’Etat, Pierre Dreyfus, le nouveau président a multiplié les recrutements externes de cadres dirigeants de telle sorte que paradoxalement, la mobilité hiérarchique a cessé alors que l’entreprise était devenue entre temps cette fameuse « vitrine sociale » de la France.
La « vitrine sociale » est un autre paradoxe. Elle n’a eu de sens que sur le plan politique. Pierre Dreyfus, homme de gauche, a souvent été accusé de cogérer l’entreprise avec les syndicats. De fait, la législation sociale à la Régie était en avance sur le reste du pays (congés payés …). Mais vous avez parfaitement raison ; en ce qui concerne la vie dans l’entreprise et le style de management, nombreux sont les témoignages attestant que les relations internes étaient dures et en totale contradiction avec un quelconque modèle social.
En résumé, modèle social : oui en matière de législation, non en matière de relations et d’organisation du travail.
Rédigé par : DT | 14 juillet 2006 à 14:31