Dans un billet récent , je me suis proposé de parler d'une entreprise du secteur agro-alimentaire dont le business model parvient à intègrer des objectifs d'ordre sociétal le plus naturellement du monde : il s'agit de Danone.
Je profite du lancemant d'un nouveau produit du groupe, Essensis, pour illustrer le propos. Danone a déja mis sur le marché des "alicaments" comme le Danacol qui réduit le taux de cholestérol.
Essensis est censé "nourrir la peau de l'intérieur". On notera au passage la métaphore alimentaire, courante lorsqu'il s'agit de la peau. Le soin cutané venu de l'intérieur est un trait de génie qui a le mérite de faire le lien entre l'alimentation, la santé et la cosmétique.
Les trois registres sont si bien combinés qu'ils concourent à l'élaboration d'un produit très innovant. Sans trahir la vocation alimentaire de l'entreprise, il répond à des préoccupations sociétales majeures liées à la santé. Il se vend cher, compte tenu de la valeur scientifique ajoutée qu'il contient. J'ignore la marge réalisée, mais on peut supposer que ce type de produit s'émancipe aisément de la pression sur les prix contrairement à un produit banal.
Bref, il fait l'affaire de tout le monde : du groupe par sa rentablité, et du corps social par ses bienfaits en matière de santé. Voilà un exemple d'une heureuse rencontre au sein d'un business model entre la logique marchande et la logique sociétale.
Je voudrais montrer que cette stratégie n'est pas le seul résultat d'une analyse froidement murie. La santé est un élément qui appartient au capital signifiant du groupe depuis ses origines.
Appelée BSN jusqu'en 1994, l'entreprise a changé de nom, choisissant celui d'une de ses marques : Danone. Or Danone est née avec comme produit phare le yaourt, vendu dans les années 1920 en pharmacie, ses vertus bienfaisantes pour le corps étant cautionnées par Elie Metchnikoff, de l'Institut Pasteur.
Antoine Riboud, l'architecte du groupe constitué à partir de l'entreprise familiale, Souchon-Neuvesel, était lui-même sensible au signifiant santé. Quelques citations extraites de ses mémoires :
"J'étais dans le ventre de ma mère. Sa grossesse se passait mal...Le 11 novembre 1918, ma mère est considérée comme perdue. Grand médecin lyonnais, le professeur Germain Roque ... met tout son espoir dans une thérapeutique étrange : faire respirer la malade grâce à des bouteilles d'air liquide... Le résultat est miraculeux. J'ai donc été sauvé par l'air liquide. Aujourd'hui, qutre vingts ans plus tard, je siège au conseil d'administration de la grande entreprise, l'Air Liquide, mais je suis le seul à avoir têté de l'air liquide en guise de lait maternel.... Les médecins penchés sur mon berceau n'hésitaient pas à dire à mes parents : "Cet enfant aura du mal à vivre." J'étais très laid, une espèce de larve."
Franck Riboud, succédant à son père, a recentré le groupe sur des produits sains pour le corps, en revendant tous les autres (sauces, pâtes ...). L'eau minérale et les produits laitiers représentent désormais plus de 75% du chiffre d'affaires.
On perçoit clairement les différentes complicités individuelles mais vraisemblablement inconscientes qui ont favorisé la destinée d'un groupe livré à sa vérité.
Il faut toujours avoir en tête qu'un business model repose d'abord sur une offre de produits. Mais pour en saisir la logique profonde, il importe de savoir non pas ce que fait l'entreprise mais pourquoi elle le fait.
Avant d'être une quête du profit, l'entreprise est toujours un choix reposant sur un désir profond.
"Avant d'être une quête du profit, l'entreprise est toujours un choix reposant sur un désir profond."
N'y a t-il donc rien Au-delà du Principe de Plaisir ?
"Désir du désir de l'autre", me répondrez vous. Mais est-ce dépasser le principe de plaisir ? ou, pour une traduction plus proche, aller de l'autre côté ("jenseits"), l'autre face de ce principe ?
Et, mais ne voyant pas bien moi-même que faire de cette dernière question : n'est-ce-pas ce "jenseits" qui, avec la nécessité de l'adéquation à la réalité, est votre principal atout dans la démarche de "changement" ou d'analyse que vous semblez préconiser ?
Sans quoi vous vous heurtez certainement à de puissantes résistances au sein de l'organisation, y compris (et surtout) en son sommet.
Rédigé par : Pfeireh | 18 novembre 2007 à 21:39
Je me permets de préciser ma dernière contribution.
De l'autre côté du désir, l'absence complète de désir. "Jenseits des Lustprinzips", il semble y avoir la mort. Traduit dans le contexte de la horde : la culpabilité.
Je pense qu'il s'ensuit une remise en question du rôle du leader dès lors qu'une psychanalyse est sincère dans l'entreprise.
Quelle délicate ambivalence pour le psychanalyste d'entreprise, alors, à la fois d'opérer au plus proche et à l'encontre du pouvoir en place !
Rédigé par : Pfeireh | 19 novembre 2007 à 20:05
PS : les deux contributions précédentes supposent que la culpabilité au sein de la horde joue un rôle tout aussi nécessaire que la confrontation à la réalité pour amener une entreprise à faire appel à vos services. Votre expérience confirme t-elle cette supposition ?
Rédigé par : Pfeireh | 19 novembre 2007 à 20:14
Pour reprendre vos termes, il me semble que le "Jenseits" de l'entreprise passe avant tout par la répétition, une grande source de résistance au changement : répétition de processus dont le sens échappe aux acteurs, d'où l'écart fréquent entre stratégie et mise en oeuvre.
Quant à la remise en question du rôle du leader, elle peut avoir un sens précisément lorsque par son aveuglement, il entretient un écart trop important entre stratégie et mise en oeuvre.
Votre dernière question est bien posée car, si je traduis, ce sont effectivement des problèmes de management ou bien de nécessaire adaptation à l'évolution du marché qui sont à l'origine de la demande de conseil.
Rédigé par : DT | 19 novembre 2007 à 21:37