Un technicien du groupe Renault s'est suicidé au Technocentre de Guyancourt le 22 janvier. C'est le quatrième d'une série que vient de révéler le journal Le Monde.
D'emblée, la direction "dénonce les raccourcis qui consisteraient à lier ces morts avec l'environnement de travail." L'empressement est le signe de ce qui s'apparente à une dénégation. Car, comme le dit Christophe Dejours, "Le suicide est une signature. Le lieu où il est commis est forcément significatif et s'adresse à quelqu'un."
Le livre de Christophe Dejours,Souffrance en France, a connu un grand succès il y a quelques années, et c'est là une occasion de le (re)lire, si ce n'est déjà fait. Psychiatre de formation, l'auteur fait découvrir les difficultés que rencontrent les salariés au travail dans leurs relations professionnelles.
Des difficultés qui sont importantes en France comme l'indiquent les travaux de Thomas Philippon, dont j'ai parlé ailleurs. Le phénomène est encore un tabou qui a du mal à être surmonté. Il en va bien entendu de la santé des personnes et c'est primordial. Mais le paradoxe est que le coût de cette situation est considérable.
Il y a encore peu, un jeune ingénieur du groupe Renault me confiait :"Les cadres intermédiaires y sont systématiquement humiliés ; ne réussissent que ceux qui s'accomodent du climat ambiant de terreur." On imagine aisément les conséquences en matière d'efficacité et encore mieux lorsqu'il s'agit d'innovation, deux valeurs hautement prisées à l'heure actuelle dans le monde de l'entreprise.
On aurait tort d'accuser les dirigeants du groupe. L'entreprise est une institution dont la mémoire conditionne largement les comportements et les décisions. J'ai eu l'occasion de développer le contenu et la forme de celle de Renault. Les relations de travail n'y ont jamais été bonnes, et cela remonte aux origines comme je l'ai longuement exposé dans mon livre "Renault ou l'inconscient d'une entreprise".
Trois hommes sont morts à l'endroit même où l'entreprise développe des "voitures à vivre" selon l'un de ses slogans publicitaires. Quant à lui, "le passé n'est jamais mort" comme l'a si bien dit William Faulkner.
La fameuse vitrine sociale de l'après-guerre n'était-elle pas plutôt un miroir ?
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