Pendant plus de quarante ans, Michel Crozier n'a cessé de dénoncer les blocages qui gênent l'action collective en France, en particulier dans l'entreprise. Son travail est immense ; et pourtant, son constat est amer : les choses n'ont pas vraiment changé.
J'ai toujours pensé que sa théorie de l'acteur dans le système accorde trop de crédit au calcul rationnel des individus. A la fois brillante et juste par ses analyses, elle cesse son questionnement là où commence à s'affirmer la logique de l'inconscient. Il n'y a pas de place chez Michel Crozier pour le vécu et l'affect au travail. Cette lacune est en partie comblée dans le livre récent de Thomas Philippon, Le capitalisme d'héritiers, clairement résumé et commenté par Pierre Bilger.
Il me semble que ce livre s'inscrit dans un courant de pensée utile pour l'avenir.
Le coeur de la thèse tient en cette phrase : " La mauvaise qualité des relations de travail constitue le frein le plus massif au dynamisme de l'économie française."
C.Dejours, psychiatre, avait déjà mis le doigt sur cette réalité avec son livre Souffrance en France. Tout l'intérêt du travail de Thomas Philippon, économiste, est le lien qu'il établit entre une variable qualitative, le relationnel, et le registre quantitatif de l'économie. Trop longtemps, on a écarté la subjectivité du facteur humain du chiffre économique. Ce clivage permet de refouler une évidence que chacun connaît et vit au quotidien.
Selon Claude Lévi-Strauss, signifier c'est mettre en relation. J'affectionne cette formule car elle montre qu'à l'inverse, refouler, c'est faire taire la signification en s'abstenant de mettre en relation. Lier la misère de la collaboration au résultat économique équivaut donc d'une certaine façon à lever un refoulement.
Or, ce tabou est propre à la France. Se basant sur deux études internationales, l'auteur fait savoir au grand public que la qualité des relations au travail en France est l'une des plus mauvaises au monde. Le fait est connu de tous ceux qui ont eu l'occasion de travailler en dehors de l'hexagone, sans pouvoir le caractériser objectivement. Je suis frappé dans ma pratique du conseil de voir à quel point les français souffrent des mauvaises relations au travail en ignorant qu'il s'agit là de ce que Thomas Philippon appelle une exception française.
En général, il est de bon ton de critiquer la mentalité des français. Or, le contraste mentionné par l'auteur entre la bonne volonté des individus et l'échec de l'action collaborative met en lumière la spécificité d'une logique propre au collectif. En choisissant de ne jeter la pierre à personne, Thomas Philippon suggère qu'au coeur de la mésentente entre les employés et leurs dirigeants, s'impose un tiers institué qui vient du passé. Pour ma part, j'y reconnais la structure de l'institution que fonde l'inconscient de l'entreprise.
Autrement dit, ce ne sont pas les français qui sont en crise au travail, mais les institutions dans lesquelles ils sont tenus d'opérer. Plus elles sont établies, plus elles font sentir leur contrainte. C'est ce qui explique le taux élevé de sociétés familiales cotées sur le marché dans notre pays, car la famille entretient une dimension humaine qui constitue un rempart contre l'institution rigide parce que dépersonnalisée.
Alors que faire ? Thomas Philippon indique les leviers du changement. J'en retiens deux : la représentativité des organisations syndicales et l'enseignement dont tout le monde sait qu'il détermine en chacun et avec précocité, les réflexes de l'action collective.
A l'évidence, comme je l'ai déjà mentionné, nous sommes en présence d'un blocage qui relève de la logique du refoulement institué. Une chose est certaine, le surcroît d'activisme et de volontarisme n'est pas la solution. Seule la prise de conscience collective peut dissoudre la répétition compulsive des mécanismes pathologiques qui entravent la collaboration.
Or, une prise de conscience ne se décrète pas. Elle se fait selon le mécanisme de l'offre et de la demande. La gêne au travail crée de la demande, celle de dire ouvertement ce que l'on vit en secret. Le refoulement perdure tant que l'offre fait défaut, c'est à dire tant que celui qui souffre en silence n'a pas les moyens de s'exprimer : un vocabulaire d'une part et une écoute d'autre part, le premier n'étant rien sans la seconde. Bref, il faut en parler, nommer les choses et créer cette écoute.
Le livre de Thomas Philippon y contribue.
Pour moi, le relationnel n'est pas seulement du domaine du qualitatif. Une organisation défaillante, qui peut être évaluée par rapport à des entreprises similaires, crée de mauvaises relations de travail. Or, par rapport au monde anglo-saxon que j'ai beaucoup pratiqué, nous étions encore il y a à peine 10 ans dans la tradition orale et atteints de réunionite aigue, de ce fait. Ordres et contrordres, interfaces mal gérées, chef qui prétend tout savoir et donc tout faire, secrets manuscrits des anciens cachés dans les tiroirs, tout cela ne contribue, ni aux bonnes relations dans l'entreprise, ni à l'intégration des nouveaux venus, encore moins à l'efficacité de l'entreprise. En revanche cela contribue facilement aux disputes, donc aux mauvaises relations et à toutes sortes de bruits de couloirs !
Je me souviens de ce pensait de nous le Président (tchèque) d'une société que nous avions achetée à Prague ; une société US avait acheté l'autre morceau de cette société trois ans avant. Il pouvait donc comparer et ne s'en privait pas ! En gros : "Nous, Tchèques et Français, avons au moins un point commun : plus bordéliques que nous, tu meurs !".
Un certain JJSS écrivait déjà il y a fort longtemps, dans "Le défi américain" que, contrairement à ce que pensait le Français moyen, ce n'était pas le dollar qui faisait la force des USA, c'était une capacité d'organisation hors du commun (par rapport à nous). Serge Tchuruk, qui a commencé sa carrière chez Mobil, a écrit un jour (dans Le Monde, je crois) quelque chose de semblable.
De manière générale il y a une tendance, chez nous, à penser que le génie remplace fort bien la méthode. Que Descartes est loin !
Cordialement, Robert Avezou
Rédigé par : Robert Avezou | 24 juin 2007 à 21:56
En effet, la notion de relation est étroitement liée à celle d'institution et d'organisation.
L'une ne va pas sansl'autre.
D'où la limite de la dynamique des groupes développée avant la guerre. Voulant étudier la dynamique de groupes spontanés, elle néglige l'aspect organisé et institué qui déterminent les relations et finit par prendre pour naturel ce qui n'est qu'historique.
Rédigé par : DT | 01 juillet 2007 à 23:01
On pourrait généraliser ce qui précède en extrapolant du gouvernement d'une entreprise à celui d'un pays, notamment en temps de crise mondiale, comme aujourd'hui. Par exemple en comparant les manières de s'y prendre des Etats-Unis (une équipe projet d'experts très resserrée autour du Président, semble-t-il), de la France (qui fonctionne avec une double organisation, d'un côté des ministères traditionnels simplement juxtaposés comme du temps de grand papa, de l'autre une équipe de conseillers qui fait double emploi, visiblement; une (in)organisation assez typiquement française avec, en outre, un chef présent sur tous les fronts qui passent à sa portée !) et de la Chine où un plan stratégique de développement économique très bien construit tombe en pluie du sommet de l'Etat vers le monde des entreprises, publiques et privées.
On pourrait lancer notre cercle des économistes sur une analyse plus fine de la situation. Et les laisser faire des paris quant à savoir lequel des trois pays comparés sortira le premier de la crise. Et lequel sortira le dernier ... ou n'en sortira pas !!
Rédigé par : Robert Avezou | 21 avril 2009 à 12:25
Chaque pays a ses travers, hérités de l'histoire. Mais parmi les trois que vous citez, ne pensez-vous pas que les politiques sont difficilement comparables dans la mesure où le poids de chacun est très différent ?
Notamment, la France n'a pas les mêmes leviers que la Chine ou les USA.
Mais il n'empêche, je suis d'accord que les modes d'action collective sont très différents.
Rédigé par : DT | 23 avril 2009 à 21:52
Oui, je suis bien d'accord avec vous, les politiques au sens large et les leviers pour agir ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre, d'une culture à l'autre, que ce soit en entreprise ou en politique d'ailleurs. Mais la question de l'efficacité économique me paraît aujourd'hui plus cruciale que jamais avec la mondialisation galopante et la montée inexorable des grands pays émergents. Car certains pays me semblent engagés dans des cercles vertueux (en termes d'efficacité économique), alors que d'autres me semblent à l'inverse englués dans des cercles vicieux, avec l'obligation de tout réformer en même temps, ce qui est une mission quasi impossible, car on ne sait alors même plus par où prendre le problème, par quoi commencer. Pire parfois, on ne sait même pas comment poser le problème. La question posée sous la forme de l'emploi des jeunes qui éclate à nouveau chez nous en est un exemple. Car le problème, ce n'est pas l'emploi des jeunes, c'est l'existence d'un nombre suffisant d'entreprises pour les employer. Et, pour faire jeu égal avec l'Allemagne, notamment à l'export, en Chine, en Inde, il nous manque des milliers de PME. Tout remettre à plat pour sortir du cercle vicieux qui nous est spécifique (poids de la fonction publique, donc des aspects administratifs et de la "règle"), alors qu'une sorte de populisme semble gagner du terrain chaque jour davantage, sera difficile. Or c'est une nécessité, car si notre économie s'effondre, tout le reste suit (culture, présence française dans le monde, etc.)
Rédigé par : Robert Avezou | 25 avril 2009 à 08:33
Pourrions nous revenir enseöble sur la phrase introductrice de M.Avezou: "Pour moi, le relationnel n'est pas seulement du domaine du qualitatif."?
De quelle facon ramener le relationnel dans le doöaine quantitatif ?
A lire M. Avezou je retiens qu´il ne s´agirait pas d´une mesure directe mais plutôt d´une variable d´ajustement qui s´appliquerait sur les mesures existantes par le truchement de la relation étroite entre relationnel et organisation. Le relationnel impacterait la productivité de l´organisation.
Ai-je bien lu ? qu´avait M. Avezou en tête précisément lorsqu´il invoquait la possibilité d´un aspect quantitatif du relationnel ?
Cette question soulevée dans le premier commentaire est très intéressante et je remercie par avance M. Toussaint de tout éclairage qu´ßil pourrait nous apporter.
J´ai laissé dans la citation le "Pour moi" qui l´ouvre; ce "Pour moi" me semble être un obstacle important (le principal?) à toute discussion portant sur une approche quantitative du relationnel, barrière qu´il faut dépasser si l´on veut avancer concrètement en suivant cette intuition.
Rédigé par : Pfeireh | 22 juillet 2009 à 12:15
Il est vrai, comme le dit R.Avezou, qu'une organisation défaillante peut induire des difficultés relationnelles dans l'entreprise. Le problème est de savoir ce qu'est une organisation défaillante.
L'expérience prouve que les modèles sont difficilement transposables. Je crois qu'il vaut mieux tout simplement considérer que les problèmes surviennent lorsque l'organisation est en conflit avec les structures inconscientes de l'entreprise.
Je ne suis pas sûr de bien saisir l'opposition qualitatif / quantitatif en matière de relations. Peut-être que Mr Avezou pourrait préciser sa pensée.
Rédigé par : DT | 28 juillet 2009 à 22:18
Mes excuses, je vous ai abandonné en chemin, faute d'aller voir où en était le dialogue que nous avions engagé. Le poids du quantitatif dans les relations au sein de l'entreprise ? Je citerai un exemple vécu : celui d'un grand projet qui, faute de références, avait démarré avec un chef de projet et trois ingénieurs de projet, ses assistants directs, en quelque sorte. Charge de travail colossale pour tous, conduisant à des oublis et des erreurs et en fin de compte à une situation humaine ingérable. La moindre comparaison (benchmarking) avec une société d'ingénierie vraiment professionnelle aurait montré que, là où il y avait donc quatre ingénieurs dont le chef de projet, il en aurait fallu vingt cinq !! Le "standard" de la profession, c'est qu'il faut un ingénieur généraliste qui ne "produit" rien lui-même sauf de l'organisation et de la coordination, pour 15 à 20 ingénieurs et techniciens qui eux "produisent" de l'information dans leurs différentes spécialités techniques. Cela ne s'invente pas. Même Einstein ne l'inventerait pas. Et ne pas le savoir conduit à faire n'importe quoi, donc à engendrer du stress (ainsi que des catastrophes techniques et financières, cela va sans dire !). Autre exemple de lien entre le quantitatif et le relationnel, l'expérience semble montrer qu'un employé mis dans un placard sans rien à faire fabrique souvent ... du stress à ne plus pouvoir respirer. Voir ce qui se passe chez France Télécom actuellement. Je pense personnellement que les problèmes actuels sont davantage la conséquence d'une organisation plutôt "flottante" chez FT (ce qui serait assez typiquement gaulois, pays où l'on fait plus confiance au génie qu'à la méthode)que celle d'un machiavélisme de la DRH pour faire fuir un maximum d'employés en un minimum de temps. Je me souviens d'une conférence faite par un ex très haut responsable de FT il y a une dizaine d'années, lequel nous disait que la direction ne savait pas s'il y avait 5000 ... ou 7000 employés à la DRH !! J'avais entendu quelque chose de semblable du temps où Christian Sautter était à Bercy : une personne bien placée m'avait dit que personne ne savait s'il y avait 9000 ou 11000 personnes à Bercy ... haut lieu de la gestion de la France, s'il en est un. Après avoir travaillé dans une trentaine de pays, je suis devenu un fanatique de l'organisation et de la méthode. La méthode, âme de la science, écrivait Linne en 1737. Et pour mettre de la méthode dans une entreprise, il faut d'abord de l'organisation, laquelle doit remettre sans cesse en question ... la méthode ... à partir de son vécu. L'histoire de la poule et de l'oeuf revisitée, en quelque sorte. J'espère m'être mieux exprimé, avec l'exemple cité, notamment
Rédigé par : Robert Avezou | 15 septembre 2009 à 22:44
" les problèmes actuels sont davantage la conséquence d'une organisation plutôt "flottante" chez FT ...que celle d'un machiavélisme de la DRH"
Je suis assez d'accord avec vous, même si souvent les individus exploitent la situation.
Quant à la méthode, oui, mais cela dépend pourquoi. Pour reprendre votre exemple de France Télécom, ne croyez-vous pas qu'ils ont mis un peu trop de "méthodes" dans la gestion de la relation client, l'une des sources du problème dont se plaignent les salariés ?
Autrement dit, comment faire pour que la méthode ne tue pas le lien social ?
Rédigé par : DT | 04 octobre 2009 à 02:58
Afin que la méthode ne tue pas le lien social, peut-être faudrait-il que la méthode soit le lien social?
Confrontés à une organisation donnée (les "alliances entre égaux", où aucune des entreprises n'a d'ascendant interne ni externe sur l'autre) des managers développent, par nécessité, les qualités nécessaires au "deutero learning" (apprendre à apprendre) énoncées par Argyris et Schön. Ces qualités, les auteurs eux-mêmes n'ont pas su comment les faire apparaître au sein d'une entreprise d'où elles seraient absente, tout en les reconnaissant pourtant comme essentielles à la capacité d'apprentissage, donc à l'amélioration des processus et in fine à l'augmentation de la productivité.
Ici, la méthode (entendue comme d'un rang supérieur aux processus) consiste à dégager la symbiose entre les hommes par une action sur la structure organisationnelle (donc la distribution du pouvoir et la prévision des rapports de force).
Ainsi ces réflexions sur l'interrelationnalité, inscrites au coeur de la stratégie de l'entreprise, sont-elles porteuses de productivité. Il est donc certainement possible de transcrire le relationnel en chiffres (synergies dans une fusion acquisition, courbe d'apprentissage, indice de productivité,...).
Je serais très intéressé de savoir si cette traduction du relationnel dans le chiffre vous semble une étape nécessaire à l'évolution du discours dans les entreprises aujourd'hui ?
Par ailleurs, cette équivalence à construire entre "Méthode" et "lien social", peut-être l'avions nous déjà formulée dès la phrase introductive de M. Avezou; en effet, comment réconcilier sinon relationnel et quantitatif en une même pensée ?
Rédigé par : Pfeireh | 07 octobre 2009 à 21:04
Je suis d'accord avec vous, DT, quand l'organisation est flottante il y a souvent des individus qui exploitent la situation. Or l'organisation est presque toujours flottante quand il y a des parachutages de gens brillants mais non connaisseurs, ni de l'entreprise, ni et encore moins de ses métiers. Alors les rusés de l'establishment en place savent trouver les bonnes paroles pour avoir l'oreille du dernier parachuté arrivé. Et à l'inverse les meilleurs dont le langage est trop "métiers" peuvent même être mis à l'écart, d'où perte à la fois de compétences et du moral dans l'entreprise. Avec mauvais esprit partout en prime. Car les meilleurs opérationnels sont toujours connus et reconnus du haut en bas de l'échelle sociale.
Je suis aussi d'accord avec vous, DT, trop de méthode peut "tuer". Surtout trop de méthodes, et surtout de procédures qui s'adressent aux "petits" pour mesurer et encadrer leur rendement minute par minute. Encore une retombée du parachutage, il me semble, car la non connaissance des métiers pousse les nouveaux responsables à ne s'intéresser qu'à ce qui est aussi visible que le nez au milieu de la figure. Avec risque de focalisation sur le détail et "oubli" de l'essentiel.
Oui aussi, Pfeireh, ce serait idéal si la méthode était la colonne vertébrale du lien social. Mais cela n'est possible que s'il y a continuité de professionnels au sommet de l'entreprise. En cas de parachutage le fonctionnement s'effectue par couches hiérarchiques simplement empilées que ne traversent de haut en bas que de l'information et de la décision administratives et de bas en haut ... pas grand chose alors. D'où un lien opérationnel faible et un lien social inexistant.
Revenant au titre de votre forum, DT, "Le management et l'exception française", il me semble que le management par parachutage est précisément l'une des grandes exceptions françaises. Je me souviens d'un article dans notre grand journal du soir, il y a 15 ou 20 ans, je ne sais plus, dans lequel on pouvait lire que dans les grandes entreprises le parachutage à la tête était de 30% en Allemagne et de 70% en France.
Et cette exception pourrait bien être la mère d'autres exceptions, dont la mauvaise organisation, engendrant elle-même le mal-être, etc. C'est ce que j'ai voulu exprimer plus haut.
Rédigé par : Robert Avezou | 08 octobre 2009 à 18:18
1. A Pfeireh "Afin que la méthode ne tue pas le lien social, peut-être faudrait-il que la méthode soit le lien social?"
Cette équivalence pourrait être précisément la clé. Si la "méthode" adhère toujours au lien social, elle a de bonnes chances d'adhérer aux faits, ce qui est sain.
Le schema est le même que dans le cas d'une théorie scientifique. Selon Karl Popper, une théorie doit être falsifiable, c'est à dire qu'elle doit être susceptible d'être prise en défaut un jour sinon elle devient suspecte et peut devenir délirante. Une autre façon de dire que les faits ont raison avant les théories, et donc aussi avant les méthodes.
J'ai eu l'occasion de travailler avec C.Argyris dans les années 80. C'est un grand artiste, au sens d'un homme de l'art, aux qualités humaines hors du commun et l'un des meilleurs praticiens de la maïeutique institutionnelle que j'ai pu approcher. C'est lui qui m'a mis en tête de publier mon travail et je lui en suis très reconnaissant.
Quant au chiffre comme étape nécessaire dans le discours des entreprises, je ne sais pas très bien. Mais à ce stade, je dirais que le chiffre est si totalitaire dans le management qu'il serait peut-être bon de passer par une phase plus "qualitative" pour subvertir ce totalitarisme malsain.
2. A R.Avezou : votre dernier commentaire insiste sur le "parachutage"; il me semble comprendre que ce que vous avez qualifié de quantitatif est en fait surtout de l'organisation, de la méthode et in fine de l'objectivité en réaction contre un certain arbitraire du pouvoir. Si telle est votre pensée, j'y adhère pleinement.
Je ne me souviens plus de cet article que vous mentionnez. Mais à la même époque (1991) nous avions demandé à Michel Bauer, auteur du livre "Les 200, comment devient-on un grand patron?" un rapport comparatif sur les grands patrons en Grande Bretagne, en France et en Allemagne. Son rapport avait produit des statistiques qui allaient dans le même sens. Je me souviens qu'il ressortait de son étude qu'une majorité des dirigeants allemands avaient une grande ancienneté dans leur entreprise avant de la diriger, à l'inverse des français qui étaient, comme vous le dites, plutôt parachutés.
Michel Crozier, dans "Le phénomène bureaucratique" a magistralement démonté ces mécanismes français.
Merci à tous les deux pour ces échanges stimulants. Et veuillez m'excuser pour mon irrégularité. Je me souviens qu'un jour Pfeireh avait émis l'hypothèse d'un nouvel ouvrage à venir. C'est exactement le cas. Après presque 2 ans de recherches, surtout d'entretiens, je me suis enfin mis à la rédaction, et c'est assez prenant. Mais je vais essayer d'être plus régulier.
Rédigé par : DT | 08 octobre 2009 à 23:46
Oui, DT, mais, revenant à l'idée de Pfeireh, "que la méthode soit le lien social", j'inverserais l'ordre des facteurs, comme nous disons, nous, ingénieurs. Quand vous écrivez que "si la méthode adhère toujours au lien social, elle a de bonnes chances d'adhérer aux faits, ce qui est sain", j'écrirais que "si la méthode adhère aux faits, c'est-à-dire d'abord à l'opérationnel, elle a de bonnes chances de construire le lien social", voire "d'être le lien social", puisque c'est l'image inventée par Pfeireh. Pour moi, le social ne se fabrique pas ex nihilo, il résulte tout droit de la manière de mettre en musique l'opérationnel. Une entreprise ne se gère pas par le stress (FT avant), ni par l'anti-stress (FT maintenant, avec généralisation en cours à l'initiative de X. Darcos) mais par une organisation adaptée, expliquée et alors acceptée.
Rédigé par : robert avezou | 11 octobre 2009 à 09:45
Je pense que nous sommes d'accord ; le mot qui me paraît important dans votre commentaire est "adaptée", tout le problème étant en effet de s'assurer que l'organisation reflète quelque chose de réel, d'existant et non pas quelque chose d'imaginé "ex nihilo" comme vous dites.
Rédigé par : DT | 13 octobre 2009 à 18:10
D'accord. Et c'est bien l'un des effets négatifs des parachutages que j'ai beaucoup évoqués que de fabriquer des solutions ex nihilo (ou simplement plaquées sur l'organisation sans adhésif, donc sans adhésion !), solutions alors inadaptées et ainsi rejetées par les "pros" de l'entreprise, avec les conséquences désastreuses que l'on peut imaginer. Toutes proportions gardées on trouve un phénomène voisin avec le remplacement de hauts responsables dans la fonction publique, ou de ministres. On engage un travail de fond avec l'un d'entre eux, il change de poste, ne laisse aucune trace derrière lui (ou si peu) et on repart à zéro avec son successeur. Et rien n'avance. Le balancier peut même repartir dans l'autre sens si le fonctionnaire, de par sa culture antérieure, est plus sensible à d'autres discours.
Rédigé par : robert avezou | 16 octobre 2009 à 14:45
Non que je sois ou pas d'accord avec vos propos et n'oserais douter des capacités de certains dans le domaine de l'entreprise.
Je fus employée pendant plusieurs, actuellement transparente en tout point.
J'ai pu me rendre compte durant ces années que l'on ne pouvait être vraiment parfait certes.
Seulement que l'on pouvait améliorer et moderniser certains éléménts afin d'avantager tout le monde pour rendre des tâches plus simples, pour retrouver une dynamique, maintenant y'a du monde qui aime, personne n'est parfait, les gens seront toujours mécontents.
Je suis loin de tous vos dires, croyez-moi, suis convaincue que l'on peut faire en sorte que la convivialité peut être un atout sans pour autant que l'on nous somme à croire que l'on achète ses propres collègues, non, dans la positivité, rendre mieux, et arrêter de se justifier, mais d'améliorer, être à l'écoute, no soucy, no problemo, que des solutionnes était une formule développée.
Rédigé par : MS Myfar etc... | 15 octobre 2010 à 15:26