Dans une interview récente*, Pascal Nègre, PDG d'Universal Music France déclare :
"Jamais on a écouté autant de musique, mais jamais on ne l'a aussi peu payée"
Face à ce problème :
"Nous sommes en train de chercher de nouveaux modèles de vente, en phase avec toutes les innovations technologiques"
Autrement dit, un business model implose. Au banc des accusés, l'innovation technologique. Trop prompte, elle a pris au dépourvu les pratiques commerciales.
Dans tous les débats sur le sujet, on parle beaucoup de vente et de paiement, rarement du produit offert : la musique elle-même. Et on cherche de nouveaux business models du côté de la transaction commerciale en ignorant les profonds changements subis par le produit qui en est l'objet.
Depuis le développement de la radio au début du 20ème siècle, bientôt cent ans, la musique est gratuite. Le fait est si évident qu'on oublie de le rappeler. A travers le disque, ce que paie le consommateur n'est donc pas l'accès à la musique, mais le contrôle sur sa reproductibilité.
Diffusée en masse et partout (magasins, ascenseurs, bars, publicité ...), elle est en partie devenue un bruit de fond de l'espace marchand. Par un lent processus qui ne date pas d'aujourd'hui, sa vocation est de moins en moins esthétique et de plus en plus pratique.
"Le déplacement des affects vers la valeur d'échange fait que l'on n'exige plus rien de la musique." Cette formulation de Théodore Adorno est de 1937 ! Et pourtant, il ajoute de façon prémonitoire : "Les auditeurs se comportent comme des enfants. Ils demandent toujours à nouveau, et avec une malice obstinée, le même plat qu'on leur a déjà servi." Soixante-dix ans après, nous en sommes tous bien là !
Bref, le paradoxe est qu'en faisant de la musique une marchandise payée par les diffuseurs, les producteurs en ont fait un produit gratuit aux yeux des consommateurs qui, de surcroît, en sont devenus dépendants.
L'explosion du numérique n'est donc pas la cause de l'implosion du business model classique ; elle ne fait que révéler une situation lentement mûrie.
C'est l'occasion de rappeler qu'un business model ne se réduit pas à un style de transaction ; il ne peut se construire qu'autour d'une offre dont le sens, souvent inconscient, doit toujours être surveillé car, se mouvant dans l'espace social, il glisse avec le temps. Le rôle de l'innovation stratégique est d'en prendre acte avant que les choses ne s'en chargent brusquement.
*accordée au quotidien Metro (18-01-2007)
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