Depuis mon précédent billet sur les quatre suicides qui ont eu lieu en deux ans au Technocentre de Renault, il y en a eu un cinquième. Confidentiel jusqu'à maintenant, le débat prend désormais de l'ampleur. Notamment sur le web.
J'en restitue ici la teneur car si les propos sont tout naturellement fragmentaires et désordonnés, on se rend compte que leur mise en relation produit les bases d'une analyse assez complète.
Deux sites m'ont surpris à ce sujet ; l'un nous apprend que trois suicides étonamment similaires auraient eu lieu à la direction des achats du groupe avant 2005. Je n'ai aucun élément sur cette information, mais elle est troublante surtout lorsqu'on pense, comme c'est mon cas, que le mal est bien plus profond que la pression liée au plan de C.Ghosn "Renault 2009".
L'autre, que je découvre également, livre une analyse pertinente sur le phénomène. A noter le regard critique porté sur la mesure du stress en entreprise. Je reste perplexe après avoir parcouru la presse ; l'insistance avec laquelle on prend soin de rappeler que Renault dispose d'un observatoire du stress finit par ressembler à une incantation collective sur son inadaptation à la situation.
Pour résumer les termes du débat, je me limiterai ici aux réactions des lecteurs de l'article du journal "Libération" L'ensemble couvre bien des aspects du problème avec beaucoup de pertinence.
Les critiques à l'égard de Carlos Ghosn pour son plan "Renault 2009" et du libéralisme mondial convergent. On s'en prend au culte de la performance. "Ces suicides sont les dégâts collatéraux de la mondialisation ultralibérale : marche ou crève ! Telle est la devise de M.Ghosn" écrit un lecteur.
Bien que ces critiques me paraissent les plus faibles, elles contribuent à faire subitement de Renault un symbole des méfaits de la raison économique contemporaine. Etrange répétition de l'histoire. A la Libération, il fallait un exemple, ce fut Renault ; l'entreprise est confisquée sans indemnité pour son fondateur et nationalisée. En 1985, le groupe Action Directe veut supprimer un patron, c'est encore Renault qui est désigné.
L'accusation de Carlos Ghosn et du libéralisme me paraît faible parce qu'elle tait l'essentiel, à savoir la dynamique institutionnelle de l'entreprise héritée du passé. A juste titre un commentaire évoque "les mécanismes d'auto-évaluation, d'auto-contrôle anxiogènes. Ils produisent un retournement sur soi et contre soi par une sur-responsabilisation du sujet associé à une interdiction de mettre en cause le collectif et son organisation."
Comment accède-t-on aux travers du collectif ? Un lecteur préconise "l'enquête qualitative dans le personnel." rappelant justement que l'on "sait si bien mesurer les goûts et besoins des clients quand on construit une nouvelle Laguna!" Ce lecteur serait intéressé de savoir qu'un sondage quantitatif venait précisément d'être réalisée sur l'ensemble du personnel du groupe pour tester son implication dans le plan.
D'où vient cet aveuglement ? Un commentaire suggère "Le monde du travail est sous la coupe de soit-disant experts en management humain qui ne font en fait que compliquer les choses, stressent le personnel, appliquent des formules toutes faites." Précisons tout de même qu'il existe bien des experts en management qui seraient d'accord avec cette critique.
Plusieurs commentaires soulèvent la question de la spécificité des relations de travail en France. Un lecteur qui travaille en Grande-Bretagne constate :"En France, on ne vous remercie jamais et on aborde que ce qui ne va pas. En Angleterre, on vous félicite, on vous remercie, on aborde aussi les points qui ne vont pas mais le but ce n'est pas de planter la personne ni de trouver un coupable : c'est que tout le monde avance dans le même sens. Ces suicides sont moins un problème de mondialisation ou d'ultra-libéralisme qu'un problème Franco-Français." Ce point me paraît essentiel et mérite un vrai débat national.
"Le problème en France, on applique un système anglo-saxon, en ayant supprimé la seule humanité de ce système, le remerciement." ajoute un autre lecteur.
Je termine sur cette remarque d'un lecteur témoignant de la façon dont l'inconscient s'empare des représentations : "Renault va devoir changer son slogan..."Des voitures à vivre"...c'est dépassé on savait que les bagnoles tuaient...mais même lors de leur conception..."
Voilà la tonalité générale. On ne parle jamais pour ne rien dire. La vérité est dans le flot des paroles et leur intelligibilité dépend de l'art de les rapprocher.
Renault est un cas d'école en matière d'inconscient de l'entreprise. On y voit clairement à quel point le capital signifiant de l'institution domine dans la productin du sens au détriment du dirigeant. Il y a à peine six mois, Carlos Ghosn était une étoile au firmament du secteur automobile ; succès avec Nissan et GM à portée de la main. Et puis d'un coup, le refoulé refait surface ; l'échec avec GM et une série de suicides réveillent les démons de l'institution qui menacent de ternir l'image de son patron. Et pourtant, l'homme n'a pas changé mais le talent individuel, quel qu'il soit, a peu de poids face aux remous d'un inconscient institutionnel.
Le refoulé revient avec d'autant plus d'insistance qu'on veut l'ignorer. Ce dont souffre Renault c'est l'absence d'un travail de fond qui n'a jamais été fait, notamment depuis la Libération, sur les mécanismes inconscients de l'institution. Ils sont au coeur de l'organisation et des relations de travail au quotidien.
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