Que faire ?
Les suicides de cinq salariés du Technocentre n'ont pas donné lieu à un débat public. Entre problèmes personnels et stress lié à la charge de travail ou à la mondialisation, la vraie question a été éludée. Quelques mesures ont tenu lieu de réponse à un diagnostic qui n'a pas été fait.
Le directeur du Technocentre a été remplacé, une centaine d'intérimaires recrutés pour alléger la charge de travail et on a même instauré la "journée de l'équipe" censée "favoriser les occasions de dialogue et de soutien des collaborateurs par le management". Ces mesures ne sont pas inutiles. Dès les années 30, Elton Mayo avait identifié leur effet placebo. Mais elles ignorent les causes du problème et ne durent pas.
Renault souffre de son passé. Un refoulement précoce interdit depuis longtemps tout processus de structuration susceptible de favoriser la communication. La collaboration ne parvient pas à s'institutionnaliser, elle est condamnée à la clandestinité des relations entre personnes. Ce manque, face aux exigences de l'autorité, est un facteur anxiogène dont la permanence conditionne la nature des relations entre les salariés.
Comment lève-t-on un refoulement collectif ?
Je suis souvent surpris par le bon sens des collaborateurs d'une entreprise en général, et ceux de Renault en particulier, face à des questions traditionnellement réservées à la direction. La solution à un problème institutionnel est toujours enfouie au sein du collectif. Il faut la reconnaître dans le flot des paroles articulées par les salariés. C'est la première étape.
La seconde étape consiste à la promouvoir. Or, le bon sens revendique toujours ses droits. Il cherche à s'imposer de lui-même. Il n'y a donc rien à forcer. Il faut travailler à la ruine des résistances qui se mettent en travers de son chemin et pour cela, libérer la parole à tous les niveaux à savoir : lui donner un cadre neutre d'expression, la recueillir sans porter de jugement, la diffuser et enfin l'interprêter collectivement. Je n'entre pas ici dans le détail pratique de la démarche et me bornerai à souligner l'importance de l'écrit et de sa diffusion interne comme support au processus de levée du refoulement.
L'expérience montre que cette démarche est un puissant catalyseur. Elle favorise une prise de conscience collective à travers laquelle le passé de l'entreprise se reconstruit de lui-même, livrant par la même occasion la signification des processus, des habitudes, des pratiques et des manières de faire qui font le quotidien de l'activité.
Car dans la mesure où signifier n'est rien d'autre que mettre en relation, le refoulement n'est qu'un défaut de lien dont le principal effet est de geler le processus naturel et spontané de maturation organisationnelle qui sous-tend toute entreprise.
A défaut de se livrer à un exercice de cette nature, Renault se condamne à l'inéluctable répétition d'un passé dont les effets ont amplement dévoilé leur caractère indésirable. On l'aura compris, il s'agit d'un passé cherchant désespérément à s'écrire dans une organisation qui ne parvient jamais à son terme. Il arrive que des individus tentent l'impossible en reprenant à leur compte une mission qui les dépasse. La violence qu'ils s'infligent est à la fois la saine tentative et le cruel échec de personnages en quête de l'auteur qui leur permettra enfin d'interprêter le rôle pour laquelle ils sont rémunérés.
Fin
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